Aujourd’hui, nous allons pourfendre deux idées reçues à l’origine de bien des blocages : l’angoisse de la page blanche et l’inspiration – l’un ne va d’ailleurs pas sans l’autre et se débarrasser des deux c’est évacuer un fardeau aussi inutile qu’encombrant et se sentir, telle la Reine des Neiges, libérée, délivrée (j’ai vraiment fait cette comparaison ? Misère…)
Allons droit au but : ni l’un ni l’autre n’existent. Vous imaginez un boulanger bloquer deux heures devant son tas de farine ? Ou un médecin annoncer à son patient : "Ah non, désolé, rhabillez-vous, ce matin je n’ai aucune inspiration" ? Vous vous diriez que ces gens sont des charlots, pas vrai ? Eh bien, dans la littérature, je ne vois pas pourquoi ça marcherait autrement.
Quelqu’un qui attend l’inspiration, qui attend que le visitent les muses, l’envie, que sais-je encore, risque bien de ne jamais écrire : Le manque d’inspiration, l’angoisse de la page blanche sont des prétextes pour laisser tomber son ouvrage et aller au bistrot ou dans le lit de la personne aimée.
Autrement dit : angoisse de la page blanche et manque d’inspiration sont surtout synonymes de flemme.
"J’ai envie d’une bonne grosse bite"
Néanmoins, nuançons un peu, des fois, c’est vrai, ça ne vient pas. On écrit des phrases aussi vivantes que ce morceau de pizza oublié au Frigo depuis une semaine. Existe-t-il des trucs pour tirer l’auteur ou l’autrice de romans érotiques de ce genre de mauvais pas ?
Bonne nouvelle : oui !
Voici une astuce universelle, popularisée par Hemingway, qui la tenait de Gertrude Stein : écrire la première phrase vraie qui vous vient en tête. Ça peut être "j’ai faim", comme "j’ai envie d’une bonne grosse bite", comme "le chien que j’aperçois par ma fenêtre se lèche les couilles d’une manière bizarre" ; ça peut être n’importe quoi, du moment que c’est irréfléchi et vrai – et rien que trouver un moyen de raccorder cette phrase à ce qui précède, et de déterminer dans quelle mesure elle va infléchir votre récit, pourra vous occuper toute la journée.
Tout ce qui vous passe par la tête
Voilà maintenant, quelques trucs plus spécifiques au roman érotique, permettant de combattre le blocage de la page blanche ou le manque d’inspiration – disons plutôt permettant de se remettre en selle.
"Toi dans mon lit ? Ça alors, si j’avais imaginé !" Hop ! Une scène de sexe entre deux personnages que rien ne prédisposait – et surtout pas vous – à coucher ensemble. L’étape suivante consiste à expliquer comment c’est arrivé et à explorer les conséquences possibles de ce rebondissement.
"Je ne vous connais pas mais j’ai déjà envie de vous" Le vieux truc du chien dans un jeu de quilles, ou du Visiteur de Théorème, le film de Pasolini : l’irruption d’un nouveau protagoniste, venu de nulle part (il sera temps d’ici la fin du livre de fournir quelques explications à son sujet), dont le sex-appeal surpuissant ou la libido délirante va bouleverser les rapports entre les personnages et l’équilibre de votre histoire.
"J’ai un truc à te dire…" L’un des personnages avoue à un autre quelque chose de totalement sexuel et totalement inattendu – tellement inattendu que vous-même n’en aviez pas la moindre idée avant de l’écrire. Un fantasme, un secret, une anecdote, tout ce qui vous passe par la tête.
"Je crois que ta sœur est partie aux toilettes baiser avec le serveur !" Mix de nos deux premières astuces, celle-ci consiste à rendre vos personnages témoins d’une scène de cul inattendue, dans un lieu inattendu, et d’observer ce qui arrive. Sont-ils choqués ? Vont-ils passer de témoins à participants ? Quelles conséquences pour la suite ?
Surprenez-vous !
Vous avez compris, j’en suis sûr, le point commun à tous ces subterfuges : vous mettre des bâtons dans les roues, faire dérailler votre mécanique narrative, rompre la routine de votre récit. Au fond, ce qu’on appelle le blocage de la page blanche ou le manque d’inspiration, c’est simplement le moment où l’ennui s’installe et ronge le désir. Et dans un roman érotique comme dans une histoire d’amour, le meilleur allié du désir et le meilleur antidote à l’ennui sont la surprise ! Étonnez-vous ! Embarquez-vous dans des endroits où vous n’avez pas l’habitude d’aller ! Si vous-même, auteur, autrice, ignorez quel virage bizarre va prendre votre récit à la page suivante, imaginez la jouissance de vos lecteurs, de vos lectrices, quand ils s’embarqueront dans votre grand huit !