Écrire un roman érotique ne consiste pas seulement à avoir l’imagination en surchauffe, posséder un vocabulaire étendu, savoir raconter une histoire et la peupler de personnages passionnants. Il faut aussi faire preuve de concision.
Concision ne veut pas dire brièveté – une phrase très longue et complexe peut demeurer concise. Proust (ou Sade, puisqu’on parle ici de roman érotique) sont des modèles de concision : pas un mot de trop dans leurs phrases pourtant parfois bien alambiquée.
À l’opposé, beaucoup de manuscrits que je refuse, construits sur le modèle "sujet + verbe + complément" sont aussi gras et mou qu’un pâté de foie abandonné en plein soleil à la fin d’un pique-nique – ou, pour rester dans une métaphore de roman érotique, aussi gras et mou que les fesses de tonton Jacquot qui pistonne avec difficulté tatie Maryse, laquelle s’ennuie très fort et cherche des yeux le cousin Marc, aussi puceau que voyeur, qui a pris l’habitude, depuis le début des vacances, d’entrebâiller la porte pour assister aux tristes ébats, la bite à la main.
Mieux vaut flamboyer qu’être flamboyant
D’autre part, un roman érotique – notamment ceux que nous publions aux Nouveaux Interdits – est plutôt bref : environ 200 000 signes là où un roman de littérature générale de format standard en compte le double. La concision s’avère donc cruciale !
Comment faire pour remuscler le cul de tonton Jacquot – pardon, pour redonner du punch à vos phrases ?
Une seule méthode : condenser. Au lieu de vous barber avec des conseils techniques abstraits, voici quelques exemples concrets (tirés des dernières et des prochaines parutions aux Nouveaux Interdits) :
"Sa toison était du même roux flamboyant que ses cheveux. Les poils orangés étaient longs, à peine ondulés, et couvraient entièrement le Mont-de-Vénus." — 23 mots
Après correction : "Sa toison flamboyait du même roux que ses cheveux. Les longs poils orangés, à peine ondulés, couvraient entièrement le Mont-de-Vénus." — 20 mots et la phrase dit exactement la même chose, mais en supprimant le verbe être, répété deux fois, et en transformant une description statique en action ("flamboyant" devenu "flamboyaient").
Ne jamais commencer à gémir
"Elle se mit à gémir." — "Elle gémit."
"Elle était en train de mouiller." — "Elle mouillait."
"Je commençais à me déshabiller." — "Je me déshabillais."
Ici, le point commun est évident. Bannissez de tout roman érotique – et de n’importe quel texte – les "il commença de", "il finit de", "j’étais en train de", qui n’apportent rien et plongent votre prose dans une espèce de bouillasse grisâtre qui ne donne pas envie de la lire.
"C’est Jean qui s’occupait de Marie." — "Jean s’occupait de Marie."
Une autre tournure fréquemment employée, qui alourdit doublement. À moins que votre scène érotique ne réclame ce type de précision car elle ajoute un élément de surprise ou d’ironie, évitez à tout prix les constructions du genre "c’est XXX qui XXX" !
Un bien étrange cliché de langage
"Elle était entièrement nue."
"Il se déshabilla complètement."
Je voudrais qu’un jour, pour les besoins de la science, on me montre deux images : l’une de quelqu’un qui n’est pas entièrement nu, l’autre de quelqu’un qui est habillé d’un simple slip, et qu’on m’explique la différence.
Si elle est nue, elle l’est forcément entièrement. Sinon, dites qu’elle était nue, à l’exception de son soutien-gorge (ou de ses lentilles de contact, je ne suis pas sectaire).
S’il se déshabille, c’est forcément complètement. Sinon, précisez qu’il conserve sa chaussette gauche – et dites-nous pourquoi !
PS : ça vaut aussi pour "tous", tout", "toute(s)" !
Un dernier pour la route ?
"Elle me sourit étrangement."
"Il la regarda étrangement."
"Son attitude était étrange."
S’il y a bien un mot que je retrouve à longueur de manuscrit et qui ne veut rien dire, c’est celui-là. Il existe mille façon d’être étrange : chargé de mystère, menaçant, incongru, lourd de sous-entendu, hors de propos, lointain, distrait, hypocrite… Si la nuance est importante, qualifiez-là de façon précise et évocatrice, en employant un adjectif ou une locution qui fasse naître une image forte. Sinon, abstenez-vous : "Il sourit", "Il la regarda", c’est largement suffisant.
En appliquant ces quelques conseils, vos manuscrits devraient perdre 10% de leur masse, minimum – autant de précieux signes consacrés à raconter des choses intéressantes !