Deux méthodes pour créer des personnages de roman érotique

Christophe Siébert, auteur et éditeur, livre deux méthodes pour créer des personnages de fiction convaincants.

La clef d’une bonne fiction, je l’ai déjà dit ici et , ce sont les personnages. Des personnages réussis = un bon roman érotique. Et, corollaire évident : des personnages ratés (pas crédibles, pas intéressants, sans surprise) = un roman érotique raté. 

Ce qui me donne envie de lire jusqu’au bout un manuscrit (voire d’envoyer un mail enthousiaste à l’auteur : "J’adore ! On signe ! Bienvenue chez les Gallimard du cul !"), ce sont les protagonistes. Peu importent leurs fantasmes et leurs aventures. Votre histoire peut être des plus conventionnelles – classiques fellations, ordinaires sodomies, banals plans à trois –, vous susciterez l’intérêt si par l’originalité de leur regard, la véracité de leur voix, ceux qui en sont les acteurs me montrent ces turluttes et autres 69 sous un jour nouveau.

Existe-t-il une méthode pour créer à coup sûr des personnages de roman érotique qui soient passionnants ?

À coup sûr, non. La littérature n’est pas une science exacte, mes amis, et si vous craignez de vous planter vous devriez choisir une activité plus rassurante.

Bistrots et sex-shops

Pas de certitude, mais des méthodes, oui. En voici deux qui comptent parmi mes favorites, avec celle du "speed-dating" déjà évoquée. Et en bonus, une petite astuce.

Première méthode : sortez de chez vous !

D’où viennent les personnages bizarres, hauts en couleur, étonnants de Simenon, Bukowski ou Esparbec ? De leur imagination, mais l’imagination a besoin de carburant et ce carburant c’est la mémoire. Plus vous croiserez de gens dans la vie, plus ceux qui peupleront vos romans érotiques sonneront vrai.

Prenez la quintessence de chacun, le détail qui sonne vrai, et reconstruisez le puzzle comme ça vous chante, avec pour seul objectif de créer des personnages vivants et plein de possibilités narratives.

Beaucoup d’auteurs fréquentent les bistrots. Ils ont raison. J’ajouterais, comme hauts lieus de documentation humaine, les gares, les centres commerciaux, les marchés aux puces, etc.

Seconde méthode : jouez aux Playmobil !

Non, je ne vous demande pas de retomber en enfance (encore que), mais c’est ainsi que Virginie Despentes, dans une ancienne interview, surnomme la phase de réflexion précédant l’écriture. Romancier, le seul métier qui permette de répondre à ceux qui vous surprennent vautré sur le canapé, au milieu de l’après-midi, en train de regarder le plafond : "Je travaille, laisse-moi tranquille !"

Sucer la bite ou bouffer le cul ?

Vous l’aurez compris, cette technique consiste à ne pas écrire, mais à songer à vos personnages. Laissez-les vivre, imaginez leurs fantasmes, leurs interactions, leurs réactions, leurs émotions. Explorez différentes pistes et variantes. Certaines radicalement éloignées (et si au lieu d’un jeune queutard il s’agissait plutôt d’une vieille obsédée ?), d’autres presque identiques (et si au lieu de le sucer elle décidait de lui bouffer le cul ?), puis observez avec attention l’éventail des possibilités, les conséquences qui en découlent, les ambiances qui s’installent, les conflits qui se nouent. Allez au bout de chaque fausse piste. Filtrez, concentrez, devenez un alambic à idées ! Prenez des notes si c’est votre truc, sinon faites confiance à votre mémoire. Petit à petit votre roman érotique se mettra en place, se cristallisera. 

Surprise et tension dramatique

Une petite astuce : ne craignez pas les incohérences !

Votre héros de libertin onctueux et courtois pète un câble et en plein feu de l’action traite son amante de grosse chienne ? Votre narratrice vicieuse, intello et froide se met soudain à pleurer sous le coup d’une émotion forte ?

Au lieu de vous croire en flagrant délit de distraction et réécrire le passage pour qu’il soit plus conforme au comportement de vos personnages, écoutez votre instinct et suivez ce hors-piste là où il vous mène. Les paroles, pensées, actions, émotions ou sensations qui ne cadrent pas avec l’idée générale que vous vous faites de vos protagonistes apportent de la vie, de la surprise, de la tension dramatique à votre roman érotique – à condition de ne pas en abuser, bien sûr. 

La littérature imite la vie. Or, dans la vie, les êtres humains sont globalement cohérents et globalement prévisibles… sauf qu’on ne réagit pas toujours comme on l’aurait cru. Si vous parvenez à créer, tout en restant crédible (question de dosage, de doigté) cette sensation de discordance dans un roman érotique, vous avez tout gagné.

Et maintenant, à vous de jouer !