Dans un roman érotique, la principale condition pour que ça marche, c’est-à-dire que les lecteurs et les lectrices s’impliquent assez et que les scènes de cul les excitent, c’est qu’ils y croient. C’est à ça que servent les topos (on peut aussi dire topoï au pluriel, pour se la péter un peu) : à rendre la situation présentée au lecteur suffisamment conforme à son expérience pour qu’il y adhère sans s’interroger sur sa crédibilité.
Premier piège : ça n’est pas parce que c’est vrai que c’est crédible. Pour reprendre Aristote, dont je conseille à tout écrivain de lire et relire La Poétique (ouais, ça démarre fort) : "Il faut adopter les impossibilités vraisemblables, plutôt que les choses possibles qui seraient improbables."
Qu’est-ce que ça signifie ?
Tout simplement que si dans votre roman érotique vous décrivez une scène qui vous est arrivée pour de vrai dans la vraie vie, mais que celle-ci est dure à avaler, vous êtes dans l’erreur. ("Mais si, je t’assure, j’étais en train de faire l’amour avec ma maîtresse et quand ma femme nous a surpris, au lieu de gueuler, elle s’est mise à poil et nous a rejoints dans le lit. Oui, moi aussi ça m’a étonné, surtout qu’elle est super jalouse, mais bon, c’est comme ça que ça s’est passé, je te jure.")
Le topos, c’est bien, en abuser, ça craint !
Les topos et les lieux communs sont nos principaux outils pour fabriquer de la vraisemblance, mais il faut les manier avec doigté et précautions.
Un topos désigne un thème, une situation, une circonstance employés de nombreuses fois en littérature. Le jeune homme un peu niais dépucelé par une amie de sa mère est ainsi un topos classique du roman érotique. L’utilisation d’un décor propice aux aventures sans lendemain – un camping, par exemple, ou une boîte échangiste –, afin de permettre à deux personnages de se rencontrer, en est un autre.
Certains topos, comme le premier exemple, s’ancrent dans la tradition littéraire ; d’autres, comme le second, se réfèrent plutôt à une réalité que beaucoup de gens reconnaîtront comme ordinaire. Dans les deux cas ils présentent au lecteur quelque chose de familier et facile à accepter comme possible. Ils constituent donc des outils efficaces pour rendre un roman érotique vraisemblable, à condition bien sûr de ne pas en abuser. Une histoire construite et articulée uniquement autour de topos risque fort de ressembler à un best-of du genre ou à un exercice de style platement scolaire.
Dépoussiérer les lieux communs
Le topos a deux faux amis : le lieu commun et le cliché.
Le lieu commun est un topos tellement utilisé, ou qui s’est au fil du temps tellement éloigné de la réalité, qu’il est devenu ringard. Continuer à s’en servir produit donc l’effet inverse : au lieu d’ajouter du réalisme il rend votre roman érotique daté, ridicule. Le coup du château et des grand bourgeois pervers dans un récit BDSM, par exemple. Ou bien le coup du libertin lubrique qui séduit des bonnes sœurs. Mais un lieu commun n’est pas pour autant bon à jeter. Il suffit de le dépoussiérer. Qu’a fait Camille Sorel dans Vacances en soumission ? Elle a repris à son compte la plupart des stéréotypes propres au récit d’initiation BDSM et les a modernisés : le château est devenu une résidence secondaire sur la côte méditerranéenne, les grands bourgeois se sont transformés en représentants ordinaires de la classe moyenne et l’héroïne naïve et curieuse s’est armée d’un regard critique et parfois ironique sur les aventures qu’elle traverse. Ce simple pas de côté a permis à cette histoire de devenir originale et personnelle tout en restant dans les canons du genre.
Stop aux bites dures comme du bois et aux chattes qui mouillent comme des fontaines !
Quant aux clichés, il s’agit de tournures de phrase tellement éculées qu’elles en deviennent grotesques. Évidemment, dans un mauvais roman érotique, ils pullulent. Les seins fièrement dressés, la queue dure comme du bois, le meilleur orgasme de toute sa vie, la chatte qui mouille comme une fontaine et j’en passe. Comment les identifier ? C’est simple : il faut lire, lire, lire. Plus vous connaîtrez la littérature érotique, moins vous serez indulgent, dans vos propres romans, avec ces banalités vues et revues. Et comment les éviter ? C’est plus dur : il faut se creuser le citron afin d’inventer une manière neuve de dire les choses. Oui, une bite est dure. Oui, une chatte est mouillée. Oui, un orgasme c’est super agréable. Mais il existe tant de façons différentes d’exprimer ces réalités…
À vous de trouver la vôtre !