La fois précédente nous nous sommes intéressés à la notion de stéréotype et nous avons vu de quelle manière un cliché bien utilisé peut renforcer la crédibilité d’une scène de cul. Cette fois-ci, en complément, nous allons étudier les effets de réel et, parmi ceux-là, un cas particulier propre au roman érotique : le fiasco.
Un effet de réel est une notation à visée documentaire qui ne communique au lecteur aucune information nécessaire au récit (si on s’en passait, l’histoire et les personnages resteraient compréhensibles), mais ancrent la narration dans une réalité plus palpable. Pourquoi se contenter d’indiquer vaguement que Laurent, qui habite Marseille, se rend à Toulouse poussé par le désir fou de tenir Marie dans ses bras et lui bouffer la chatte, quand on peut préciser qu’il y va en Fiat Panda, que le trajet dure quatre heures trente et qu’aux environs de midi il s’arrête à l’aire de Béziers Montblanc Nord, déjeune d’une bavette-frites à Buffalo Grill et se branle deux fois dans des toilettes à l’éclairage trop vif ? D’un côté, on s’en fout. D’un autre, ça va déclencher plein de petites réminiscences dans l’esprit du lecteur, qui croira davantage à ce que vous lui racontez.
Une scène de cul n'est pas seulement un support à branlette
Dans un roman érotique, les effets de réels qui fonctionnent le mieux sont ceux qui explorent le champ du trivial. C’est d’ailleurs un moyen de différencier un mauvais roman érotique d’un bon. Dans la mauvaise littérature érotique nous avons l’haleine fraîche, les parties génitales impeccablement taillées ou rasées, nos gémissements sont excitants, toujours. Moi, dans la vraie vie, il m’arrive de transpirer un peu trop, d’avoir une crampe, ou mal à la langue à force de lécher une chatte. Il arrive à ma partenaire d’interrompre sa fellation pour se débarrasser d’un poil gênant. On peut crier ou gémir trop fort, ou avec une voix cheloue. On peut penser à un truc hors-sujet au moment crucial, ou bien le téléphone peut sonner et déconcentrer tout le monde. Ce genre de détail transfigurera vos scènes de cul. Elles ne seront plus de simples supports à branlette mais diront quelque chose de vrai.
Renforcer le lien émotionnel
L’autre oubli des romans érotiques, c’est la contraception. Moi je veux bien que vos textes se passent dans un monde fantasmé où les femmes ne tombent pas enceintes et où personne n’a peur de choper d’IST parce qu’elles n’existent pas. Mais cette licence poétique a un prix : on va finir par ne plus s’intéresser à vos histoires puisqu’elles ne parlent pas de nous mais de créatures qui n’ont aucun problème, aucune épaisseur. Au contraire, chaque fois qu’un de vos personnages fait un prise de sang, enfile une capote ou demande à son partenaire d’en enfiler une, se retire pour jouir hors du vagin, vous ancrez votre histoire dans le réel et par conséquent renforcez le lien émotionnel entre votre récit et son lecteur. Et vos scènes de cul n’en deviennent que plus excitantes.
L'art du fiasco et du dosage
Voici maintenant le clou du spectacle, ce qu’on ne montre pas dans un roman érotique de seconde zone et qui fera la différence dans les vôtres : le fiasco ! Comment ça se passe, dans la vraie vie ? Tout le monde jouit en même temps, avec une intensité parfaite, après avoir bandé et mouillé comme des as ? Chez vous je ne sais pas, mais chez moi non, pas à tous les coups. Vos romans doivent refléter cet aspect de la sexualité, car c’est ça que vous avons tous en commun, c’est ça qui fera de vos personnages des êtres de chair et de sang et pas des silhouettes aussi parfaites qu’inconsistantes : bander et débander au mauvais moment, ne pas assez mouiller, jouir trop tôt ou trop tard, ne pas jouir. Ne pas vouloir la même chose, ne pas savoir exprimer ce qu’on veut, prendre du plaisir mais ne pas aimer ça, se consumer de désir et le regretter, tester ses fantasmes et se rendre compte que ces idées tordues auraient dû rester dans la tête…
Mais attention ! Tout est une question de dosage. Nous ne sommes pas dans une comédie cruelle où tout doit tourner au grotesque, à la farce, au vulgaire. Cependant, utilisés au bon moment, ces détails vont nous rappeler que vos personnages se rattachent comme nous tous à la condition humaine, qu’ils se débrouillent avec leur corps et ses limites. Grâce à cette patine-là, en plus d’écrire un roman érotique, vous aurez une chance de peut-être fabriquer ce truc aussi rare que beau : de la littérature.