A genoux devant elle, journal d'une dominatrice - Entretien avec Octavie Delvaux

Christophe Siébert interviewe Octavie Delvaux pour la parution du roman érotique et autobiographique "A genoux devant elle - Journal d'une domina".

Les Aphrodisiaques est une collection plus confidentielle que Les Nouveaux Interdits, réservée aux initiés. Aussi, quand une autrice de la trempe d’Octavie Delvaux accepte d’y publier son dernier roman érotique BDSM et qu’en plus elle se prête au jeu des questions-réponses, on ne peut que se réjouir. Bienvenue, donc, à Maîtresse Octavie !

Bonjour Octavie. Quelle carrière impressionnante ! 

Je suis éditée depuis une douzaine d’années. Mon premier roman érotique, Sex in the kitchen, m’a révélée au grand public. J’ai depuis écrit d’autres nouvelles, romans, essais, j’ai aussi édité pas mal de livres dans le domaine de l’érotisme. J’adore accompagner les auteurs et autrices (plutôt ces dernières car je suis pour ainsi dire "spécialisée" en écriture féminine). Cependant, je continue d’apprendre tous les jours, je ne me repose pas sur mes lauriers. Dans ce métier il faut sans cesse se réinventer, se remettre en question, progresser.

"Je revendique cet aspect autobiographique"

L’aspect autobiographique d’À genoux devant elle est clairement assumé.

À genoux devant elle est un roman érotique BDSM qui raconte les multiples séances dirigées par une dominatrice, mais ne montre pas les personnages en dehors de ces moments privilégiés. Chaque chapitre permet le développement d’un rituel BDSM, avec son rythme et ses règles propres. 

Je revendique cet aspect autobiographique, dans la mesure où les personnages et les faits s’inspirent d’expériences réelles, mais je ne voulais pas livrer un simple témoignage. L’idée était plutôt de raconter des moments de pur délire érotique. En tant que dominatrice, on imagine et on met en scène un personnage, une histoire, mais ce travail est voué à l’oubli, et c’est dommage. En transformant ces séances en roman érotique, je leur offre un écrin où d’autres pourront trouver du fantasme et de l’excitation. 

"Comme une méchante de Disney"

L'humour – parfois sarcastique – est présent dans ce livre. Est-ce l’ingrédient indispensable d’un bon roman érotique ?

Pour un roman érotique, ça se discute. Mais s’il y a du BDSM, c’est absolument nécessaire. Il ne faut pas oublier qu’on est dans un jeu, un jeu de dupes, osons le dire. Les participants dominent et se soumettent parce qu’ils le veulent bien. Même lorsque chacun semble dans son rôle, tout est mis en scène, le trait est exagéré à dessein. Cela fait partie intégrante du fantasme. Bien sûr, il ne faut pas rigoler toutes les deux secondes, sous peine de décrocher, d’extraire le soumis du subspace. Mais il ne faut pas non plus trop se prendre au sérieux car au fond chacun sait que tout cela est fake. L’art du bon dominant est de le faire oublier pendant un court instant et s’il y parvient c’est déjà beaucoup. Le personnage de la dominatrice Octavie, sévère, imbue d’elle-même, prétentieuse, injuste, de mauvaise foi, est extrêmement éloigné de ma personne et c’est pour cela que je me suis éclatée à la jouer et à l’écrire. J’y suis attachée comme à une méchante de Disney : plus elle est excessive, plus c’est jubilatoire.

Selon vous, qu'est-ce qui caractérise une bonne scène érotique ? 

Une scène érotique doit emporter le lecteur, l’interpeller, le troubler, le sortir de sa zone de confort. Elle doit aussi réserver des surprises. Le bon écrivain érotique est un funambule qui évolue entre le lisible et l’illisible : tout l’art consiste à rester sur le fil, mais on doit se permettre certains à-coups et donner l’impression qu’on risque de verser d’un côté, puis redresser la barre au dernier moment. C’est un jeu constant avec les lecteurs. Le texte est un cerf-volant dont on tire ou lâche les fils pour le laisser voltiger ou au contraire le maîtriser : il peut y avoir des envolées de vulgarités, de mots crus, mais ça ne doit pas durer, ni être constant, il faut redresser sinon le cerf-volant s’écrase… la scène est ratée. 

"J'aime les textes vivants, humains et passionnés !"

Parlez-nous de l'aspect technique de votre travail, laissez nos lecteurs jeter un œil dans votre atelier ! 

Je travaille beaucoup certaines phrases, les remanie sans cesse, d’autres s’imposent d’elles-mêmes, comme soufflées par une voix intérieure. J’essaie de faire confiance à cette voix. C’est une des choses que j’ai comprise avec l’expérience. C’est important de travailler sa langue, mais aussi d’avoir confiance en son style naturel. On le sent, quand les phrases sont trop écrites. Cela donne des textes froids, qui manquent de spontanéité. Ils sont peut-être parfaits, c’est à dire sans répétition, mots en trop, inélégants, faibles etc., mais l’ensemble reste clinique. En tant que lectrice, j’aime les textes vivants, humains et passionnés, je préfère que ça foisonne, quitte à ce que ce soit trop.

J’accorde pas mal d’importance au rythme et là non plus je ne suis aucune règle. Il s’impose, je ne sais pas d’où il provient. Il m’arrive d’ajouter des mots, des phrases, ou d’en enlever uniquement par souci de rythme. L’ambiance compte aussi beaucoup. J’aime les descriptions, rien ne m’ennuie plus que lire un déroulé d’actions, j’ai besoin de m’imprégner de l’atmosphère, du contexte, de tous les aspects sensuels (les bruits, les odeurs, etc.) qui enveloppent les événements exposés dans un roman érotique.