Contrairement à ce que croient les universitaires qui décortiquent la littérature comme on ouvre un cadavre afin de comprendre les causes de la mort, dans un roman on se fiche des intentions de l’autrice ou de l’auteur, car rien n’existe en dehors du texte. Les indispensables qualités que doit posséder un roman érotique sont donc l’intelligibilité et la cohérence.
Je vais vous raconter une situation typique de mon quotidien d’éditeur.
Je reçois le manuscrit d’un roman érotique. Je le lis, il me plaît, mais des choses ne fonctionnent pas. Par exemple tel personnage réagit parfois de façon contradictoire avec ce qu’on sait de lui. Sa logique m’échappe, il me semble trop aléatoire pour être crédible. Réaction de l’autrice ou de l’auteur face à mes réserves : "Non, mais c’est parce que…" – suit un développement bourré d’arguments visant à me démontrer que j’ai tort.
Autre cas de figure : j’ai accepté le manuscrit et le travail d’édition a démarré. Je pointe alors une phrase ou un paragraphe que je trouve peu clair. En réponse, l’autrice ou l’auteur m’explique ce qu’elle ou il a voulu dire et pour quelle raison ça devrait marcher.
C’est toujours la faute du texte, jamais celle du lecteur
Mais on se fiche des explications ! Les lectrices et les lecteurs, quand ils liront votre roman érotique, ne vous enverront pas un texto chaque fois qu’un truc leur paraîtra bizarre ou confus. S’il y a un manque de clarté, si on achoppe, trébuche, cale, se gratte la tête, c’est toujours la faute du texte. En cas de doute, voilà la règle : la lectrice ou le lecteur n’est jamais idiot, c’est toujours le texte qui est mal formulé. Cette réalité dure à encaisser fera mal à votre ego, mais beaucoup de bien à vos manuscrits.
Le maître-mot est la cohérence. À toutes les échelles, aussi bien au niveau de l’histoire et des personnages qu’au niveau de la phrase elle-même. Examinons quelques cas de figure, illustrés d’exemples comme toujours inspirés par les manuscrits de roman érotique que je reçois.
Une salade McDo tombée de la boîte
Cohérence syntaxique :
"Christine ouvrit le pantalon de Carlo. La bite en jaillit et se dressa, déjà dure. Elle poussa un petit rire de joie et de surprise." Le pronom se rapporte en principe au nom qui le précède dans la phrase. Je vous laisse donc déduire par vous-même qui, grammaticalement parlant, se bidonne. Un indice : ça n’est pas Christine. Bien sûr, dans le contexte, personne n’imagine la bite éclater de rire. Mais la phrase est bancale. Et il s’agit d’une erreur d’inattention courante et constante dans les manuscrits que je reçois.
Cohérence descriptive :
Lorsque l’héroïne de votre roman érotique fait sa première apparition dans le livre, si vous décrivez son visage, puis ses pieds, puis ses nichons, puis son ventre, puis la voiture garée à côté d’elle avant de revenir à son cul et sa coiffure, les lecteurs vont penser que vous avez le hoquet. Une règle à ne jamais oublier : suivre scrupuleusement le regard du personnage qui observe. Peu importe qu’il regarde de bas en haut, de haut en bas, latéralement, en zoomant ou en contre-zoomant, du moment que votre description ne se transforme pas en salade McDo qui serait tombée de sa boîte. Si aucun personnage n’est là pour vous servir de témoin, alors imaginez-vous en caméraman virtuel.
Une gymnastique compliquée mais passionnante
Cohérence de la voix :
Ici, un problème plus coton à détecter, source de beaucoup de discussions avec mes autrices et auteurs. Chaque personnage, dans sa manière de s’exprimer, se caractérise par son lexique, son niveau de langage, un certain rythme dans sa phrase – exactement comme les vrais gens, dans la vraie vie. Exemple caricatural : si votre notaire snobinard, adepte d’un parler châtié et aristocratique, se met à jurer comme un charretier ou à ne plus employer la négation complète (ne… pas) alors qu’il y veillait depuis le début du bouquin, ça coince. Pour éviter cet écueil, la solution la plus simple consiste à poser une série de règles, de constantes dans la manière de parler de vos personnages et les garder à l’esprit au moment de rédiger leurs répliques. Idéalement, vous devriez parvenir à penser comme chaque protagoniste de votre roman érotique. C’est une gymnastique compliquée, mais passionnante – et, à mon avis, l’essence même de la littérature.
Dans la seconde partie, nous nous intéresserons à la cohérence des réactions et des attitudes et à celle des causes et des conséquences.