Non, il ne s’agit pas de la censure ni du retour à l’ordre moral, encore moins des libraires offensés par nos peu chastes couvertures. Ces adversaires du roman érotique, ces ennemis aussi sournois que puissants, se cachent à l’intérieur même de vos pages, au cœur de vos phrases : ce sont les hyperboles et les métaphores.
La définition canonique de l’hyperbole est simple : une figure de style qui consiste à exagérer l’expression pour mettre en relief une idée.
Une inondation ou une cataracte pour signifier un épanchement de quelques gouttes, par exemple. Je n’aimerais pas recevoir en pleine figure un déluge de foutre, je vous le dis tout net. Et si je devais toucher un euro chaque fois qu’une femme dotée des "plus beaux seins de la Terre" traverse un manuscrit de roman érotique, je serais à l’heure actuelle en mesure de racheter Gallimard pour en faire une annexe de La Musardine. Mais on trouve pas seulement des hyperboles dans les descriptions. Elles infestent aussi les émotions. Combien de personnages éclatent de rire à la moindre plaisanterie ou hurlent de plaisir sitôt qu’on les touche, sont catastrophés, effondrés, anéantis à la moindre contrariété ? Franchement, je ne voudrais pas être leur voisin.
La grandiloquence des mauvais téléfilms
Le plus souvent, l’hyperbole sert de cache-misère. Cette figure de style est aussi vulgaire que le tonton lourdingue, au mariage, qui rit de ses propres blagues pour tenter de convaincre son auditoire consterné qu’elles sont réellement drôles.
Si vous cédez à la tentation d’en rajouter, de pousser les curseurs à onze, c’est peut-être parce que les décors et les situations de votre roman érotique manquent d’intérêt, de profondeur, de richesse. En la matière, la règle est simple : mieux vaut raconter avec sobriété une histoire passionnante que dérouler avec grandiloquence un récit sans intérêt.
Contentez-vous de décrire votre décor de manière objective et factuelle : s’il est effectivement grandiose, les lectrices et les lecteurs s’en rendront compte.
Quant aux émotions de vos personnages, il n’est pas nécessaire non plus d’en faire des caisses. Plutôt que d’annoncer à chaque scène de cul de votre roman érotique que le personnage principal connaît le meilleur orgasme de sa vie, décrivez de manière simple et crédible les émotions et les sensations qu’il éprouve. Il gémit, il tremble, il pleure, il rit, peu importe. Ne tombez pas dans l’hystérie, sans quoi votre texte ressemblera à un mauvais téléfilm – vous savez, ceux où les acteurs roulent des yeux, grimacent et surjouent la moindre intention pour pallier la fragilité de la mise en scène et du scénario.
Non aux bites longues et dures comme des gourdins !
Maintenant que nous avons réglé son compte à l’hyperbole, tordons le cou à cet autre fléau du roman érotique : la métaphore – et sa cousine cacochyme, la comparaison.
Les bites longues et dures comme des gourdins (des bâtons, des barres à mine, des menhirs, des obélisques) me sortent par les yeux, si j’ose dire. Pas seulement parce qu’il s’agit d’un cliché éculé, mais parce que personne, dans la vraie vie, face à une bite longue et dure, ne se demande si elle ressemble à la tour Montparnasse ou à l’Empire State Building ! Laissez également tranquilles les poitrines féminines, tant que vous y êtes. Des seins ronds comme des oranges, doux comme des pêches, gros comme des pastèques… Vous écrivez un roman érotique ou la recette de la salade de fruits ? Et si vous croyez faire preuve d’originalité en comparant les cris que poussent votre personnage en train de jouir aux vagissement d’un bébé qui vient de naître, laissez-moi vous prévenir que l’image surgissant dans l’esprit des lectrices et des lecteurs a de quoi couper la chique aux obsédés les plus endurcis !
Mollo sur les paillettes
En résumé : sobriété, précision, netteté, clarté. Un regard juste et précis. Des phrases qui ne mentent pas, qui décrivent sans enjoliver, sans exagérer. De la rigueur. Le sens du détail. Une bonne histoire. Ce qui rend un texte inoubliable, ce sont les situations et les personnages, pas la capacité de l’auteur ou de l’autrice à recouvrir sa prose de paillettes et à transformer chaque page en festival d’outrances de toutes sortes.
Bref, si vous voulez que votre manuscrit irradie tel un Phénix lubrique dans la plus belle collection de roman érotique que la Terre ait jamais portée, par pitié, cessez d’écrire des phrases comme celle que vous êtes en train de lire.