Votre roman érotique est terminé, relu, rerelu, pimpant. Il vous semble génial, mais… êtes-vous le meilleur juge ? Avant de l’envoyer aux Nouveaux Interdits et rejoindre la dream-team de la littérature de cul, pourquoi ne pas le faire lire à quelqu’un de confiance ou même à quelqu’un dont c’est (soi-disant) le métier ? Voyons ça de plus près…
Par analogie avec les "bêta-testeurs", qui se chargent d’évaluer les logiciels dont le développement est terminé afin d’en débusquer les derniers bugs, les bêta-lecteurs lisent des manuscrits et proposent critiques et conseils, dans le but que les auteurs ou les autrices puissent les améliorer. La bêta-lecture intervient donc entre le moment où le manuscrit est achevé et celui où il sera auto-édité ou proposé à une maison d’édition.
Avant de vous expliquer pourquoi cette pratique est à proscrire, voici un exemple tiré de mon activité d’éditeur.
Bêta-lecteur, un terme particulièrement tarte
L’autrice d’un roman érotique, appelons-là X (c’est original) est saisie d’un doute avant de m’envoyer la troisième version de son manuscrit. Elle la fait donc lire à un lecteur de confiance, appelons-le Q (c’est malin). Suivant les conseils de Q, X remanie considérablement son manuscrit… et le sabote au point de le rendre impubliable. Conclusion : trois mois de boulot à la poubelle et, pour l’autrice, une nouvelle version de son roman érotique à écrire. Pour la petite histoire : Q, le bêta-lecteur plein de bonne volonté et de mauvais conseils, était déjà connu de mes services puisque j’avais lu et refusé plusieurs de ses textes…
Quant à X, tout est bien qui finit bien : son livre est devenu l’une des meilleures ventes de la collection.
Quel est le problème, avec l’idée d’utiliser des bêta-lecteurs (je veux dire, en dehors du fait que ce terme est particulièrement tarte) ? Dans le cas d’un roman érotique, il est double.
Le bêta-lecteur ne prend pas de risque
D’abord, l’asymétrie du rapport. Vous passez six mois à écrire. De quel droit quelqu’un qui passe trois ou quatre heures à vous lire en prenant des notes pourrait-il vous conseiller ? Pour acquérir ce droit-là, il faut faire la preuve d’un investissement aussi important que le vôtre. Puisqu’il est impossible d’investir du temps, alors on a besoin d’une équivalence symbolique : le pognon, comme en psychanalyse. Ce qui m’autorise, moi, éditeur, à vous suggérer de développer le chapitre 4, supprimer le 15 et changer la fin de votre roman érotique, c’est que La Musardine vous paie – et me paie moi et l’imprimeur et d’autres professionnels –, autrement dit prend un risque financier. Voilà ce qui confère à l’éditeur la légitimité minimum. Le bêta-lecteur, si ses conseils vous semblent géniaux mais vous conduisent à flinguer votre manuscrit, en subit-il les conséquences ? Pas du tout. Moi, si par incompétence je vous pousse à foirer votre roman, qu’il se vend mal et que les lecteurs sont mécontents, je peux vous dire que la diabolique Anne H., directrice générale de La Musardine, me convoquera dans son bureau et ensuite… ensuite je préfère garder le silence, mais sachez que le châtiment implique plusieurs variétés de fouets, un bouquetin adulte et une grande quantité de crème chantilly.
D’autre part, un manuscrit est un objet fragile. L’autrice ou l’auteur a le nez dedans, manque de recul ; le moindre conseil, même bien intentionné, peut tout bousiller – cf. l’exemple de X et de Q. À plus forte raison avec un roman érotique, qui par définition explore des zones inconfortables, joue avec les fantasmes, l’exhibition, le désir, la honte, le malaise, notions face auxquelles l’autrice ou l’auteur pourra être facilement bousculé.e par un avis négatif ou des conseils le poussant à rendre ton texte plus comme ceci ou moins comme cela.
Devenir le Balzac du cul
Mais alors, comment savoir si votre roman érotique est bon ou mauvais avant de le soumettre au jugement de l’éditeur ?
Vous êtes foutus : il n’y a aucun moyen.
Écrire, c’est se mettre à poil et se jeter dans l’océan depuis la falaise. On peut se préparer autant qu’on veut, mais une fois qu’on a sauté c’est quitte ou double.
Allez, quand même, pour ne pas finir en vous laissant démuni, voilà la méthode de ce sacré Balzac. Aux dîners en ville, il racontait les sujets d’une future nouvelle ou le chapitre sur lequel il travaillait en présentant son récit comme une anecdote réelle, puis observait les réactions de son auditoire. C’est ainsi qu’il éprouvait la crédibilité de ses histoires et son talent de conteur. Certains de ses "tests" sont d’ailleurs devenus des légendes urbaines qui continuent de nos jours à passer pour vraies, car le bougre se gardait bien de révéler qu’il avait tout inventé !
Alors si vous voulez devenir le Balzac du cul, vous savez ce qu’il vous reste à faire !