Quel type de récit pour votre roman érotique ?

Choisissez la forme idéale pour votre roman érotique avec Christophe Siébert, auteur et éditeur.

Journal, confession, correspondance, narration classique, "fix-up", etc. Lorsqu’il s’agit de choisir la forme que prendra votre roman érotique, l’éventail semble infini et la tentation de choisir au petit bonheur est grande.

Avant de se lancer dans la rédaction d’un roman érotique, les deux questions à se poser sont : 

— Qui raconte ?

— À travers les yeux de qui accédons-nous au récit ?

En termes plus techniques il s’agit de déterminer les instances narratives et les vecteurs narratifs.

Qui raconte : un ou plusieurs personnages, ou bien un narrateur extérieur à l’action (un simple témoin, quelqu’un à qui on a rapporté l’histoire, etc.), ou encore un narrateur extérieur au livre lui-même (ce qu’on appelle un narrateur externe ou omniscient, selon qu’il puisse entrer ou non dans la tête des personnages – c’est plus compliqué que ça, mais considérons qu’il s’agit de la base).

Qui nous guide : un seul personnage, quelques-uns ou tous.

Comment choisir ?

L’importance des angles morts

La méthode la plus évidente consiste à se demander ce qu’on veut raconter et à choisir l’outil le plus commode. Par exemple, un récit choral nécessite de nombreux vecteurs narratifs, puisque nous découvrirons l’histoire à travers chaque personnage, et sans doute une narration omnisciente afin de ne rater aucune nuance de leurs réflexions, émotions, désirs, etc.

Mais il est plus intéressant et plus fécond de procéder à l’inverse et se demander, au contraire, ce qu’on ne veut pas raconter. Si votre roman érotique décrit un triangle amoureux, selon que vous le racontiez à travers les yeux d’un seul, de deux ou des trois personnages, il n’aura pas du tout la même tonalité.

Le piège classique c’est vouloir tout dire, tout expliquer, ne laisser aucun détail dans l’ombre ni la moindre ambiguïté à la charge des lectrices et des lecteurs. Pourtant, un grand plaisir de lecture consiste justement à relier les éléments, à combler les vides, à tirer soi-même ses conclusions. Le problème n’est donc pas de déterminer le meilleur moyen de tout dire mais ce qu’il vaut mieux passer sous silence et quelle forme permettra de rendre naturels ces angles morts.

Une histoire d’exhibition, selon qu’elle est racontée par celui ou celle qui mate, par celui ou celle qui est maté ou par un narrateur extérieur, donne trois livres opposés.

Chaque forme implique des contraintes

Le choix de la forme permet d’explorer ces pistes, mais aussi de jouer avec la temporalité, l’espace et la langue elle-même. La même histoire, racontée en temps réel ou après que l’ensemble des faits ont eu lieu, relatée à la première personne comme si le narrateur s’adressait directement au lecteur ou à la troisième, comme s’il s’agissait d’un compte-rendu neutre et objectif, produira des livres diamétralement opposés. L’atmosphère, le rythme, les émotions ne seront pas du tout les mêmes.

Prenons le journal intime. Cette forme implique plusieurs contraintes. L’action est racontée après qu’elle a eu lieu, par l’un des protagonistes, toujours le même. Nous accédons à ses pensées, ses émotions, ses analyses, mais il peut mentir, se tromper, être de mauvaise foi, etc. Les événements dont il n’est ni témoin ni acteur ne figureront dans son journal que s’il en prend connaissance d’une façon ou d’une autre.

Les lectrices et les lecteurs sont futés !

Autre exemple : la correspondance. Un grand classique du roman érotique old-school, remis au goût du jour par les mails et les réseaux sociaux. Selon que vous rédigiez la totalité des échanges ou uniquement les lettres d’un des deux interlocuteurs, vous n’obtiendrez pas le même livre.

La question des angles morts est cruciale. Elle revient à décider quels éléments de votre roman érotique seront laissés à la compréhension des lectrices et des lecteurs. L’équilibre du livre dépend de cette décision. Vous en dites trop et on s’ennuie, vous n’en dites pas assez et on se perd. Le bon dosage est une question d’expérience, d’intuition, d’instinct et de confiance. Confiance en soi mais aussi et surtout confiance en son public.

La règle d’or : les lectrices et les lecteurs sont plus futés qu’on ne le croit. 

Une fois que vous aurez compris et admis ça, vos textes deviendront plus bien amusants à lire – et à écrire !

Je vous retrouve dans quinze jours pour l’interview de Mona Servo, autrice de l’excellent Asphalte chaud, disponible dès le 19 juin sur le site de La Musardine !

Pour aller plus loin, lisez et étudiez ces deux romans érotiques. Chacun à leur manière, ils gèrent de manière admirable les questions de la forme, du point de vue et des non-dits :

Rouge humide, de Rose Brunel

L’innocente, de Luc Farnade