Érotisme ou pornographie ?

Christophe Siébert, auteur et éditeur, prend la parole sur le blog de La Musardine

 

Aaaah, la voilà, LA question. Celle qui agite les auteurs, les éditeurs, les lecteurs, les critiques, les libraires, tout le monde. Passons sur la réponse qu’on entend le plus souvent, et qui me paraît un peu légère : quand c’est fin, intelligent, en un mot "littéraire", c’est de l’érotisme. Et donc quand c’est grossier, con, pourquoi pas sexiste, bref que ça a tous les défauts, c’est de la pornographie.

Vous me permettrez de pas être d’accord. Bon, pour commencer, moi je préfère quand c’est con et grossier (pas sexiste, certes), j’aime moins quand c’est fin et littéraire, je préfère les bouquins de gare à la Simenon aux trucs prout-prout que Télérama encense. Question de goût, certes – de goût ? Eh, pas seulement : question d’expérience, aussi : quand je me promène dans la rue en bas de chez moi, possible que je ne voie pas tout à fait le même monde, la même réalité, que quand descend de son immeuble du sixième ou du onzième arrondissement de Paris un auteur littéraire ou un journaliste culturel.

Bon, d’accord, mais ça nous éloigne du sujet.

 

"Chagatte or not chagatte ?"

 

Certains considèrent que c’est une question de dosage, que l’érotisme suggère là où la pornographie montre de manière crue. Pourquoi pas. C’est en tout cas la définition qui a cours dans le cinéma (chagatte or not chagatte ? Bite en érection or not ?) et en tant qu’éditeur, même si je la trouve imparfaite, je m’en sers par commodité.

En réalité, la pornographie est de l’érotisme – et ceux qui pensaient que j’allais écrire "et réciproquement" en sont pour leurs frais parce que, justement, pas du tout. L’érotisme est un genre littéraire au même titre que le polar, la SF et d’autres. En tant que genre, il existe pour des raisons avant tout commerciales (la différence entre les littératures de genre et les littératures littéraires tient à cette chose simple que les premières sont fabriquées pour des lecteurs dont les goûts sont identifiés et que les secondes n’ont pas besoin de lecteurs pour exister – je caricature un peu, allez, on est entre nous, quoi) et doit donc remplir une fonction. Quelle est la fonction de la littérature érotique ? Donner envie de se tripoter ou d’aller tripoter un, une ou plusieurs petit.e.s camarades.

 

"L’exploration du désir dans ce qu’il a de plus charnel"

 

Et quels sont les moyens possibles ? De même que la comédie (qui a pour but de faire poiler) peut se décliner en sitcom, burlesque et mille autres formes, l’érotisme s’exprime de différentes manières. La romance en est une, la pornographie une autre. La pornographie, mais ça vous le savez sans doute déjà, est l’exploration du désir dans ce qu’il a de plus charnel, physique, cru et parfois obscène, en faisant la part belle aux sensations et aux émotions les plus viscérales, en explorant de façon frontale et sans tabou les fantasme et la libido des personnages. Je suis donc, selon cette définition, un éditeur érotique qui publie des romans porno. Quant à savoir si un roman porno doit être léger ou lourd, intelligent ou idiot, littéraire ou brut de décoffrage, comique ou tragique, réaliste ou délirant, ça c’est du cas par cas. À chaque auteur selon ses moyens, ses capacités, ses ambitions et ses envies. Je préférerais toujours – tous genres confondus – un texte dont l’ambition est d’être grossier et qui y parvient, à un autre dont l’ambition est d’être subtil mais qui se plante.

Voilà, si vous étiez curieux de savoir quels bouquins paraissent dans ma collection, vous en savez un peu plus. Et si vous êtes auteur, vous savez aussi ce que j’attends de vous !

 

 

Pour ceux qui désireraient approfondir ce thème et qui se trouvent en Rhône-Alpes le 24 mars prochain, je participe à une table ronde sur le sujet à la Maison du Patrimoine et des Lettres, à Saint-Étienne. Toutes les informations sont ici !