Jardiniers et architectes

Christophe Siébert, auteur et éditeur, donne ses conseils d'écriture sur le blog de La Musardine.

 

Si vous vous intéressez un tant soit peu à l’écriture, si vous écrivez vous-même ou nourrissez cette saine ambition, on a déjà dû vous faire le coup du "jardinier ou architecte". Selon cette typologie, il existerait deux types d’auteurs : ceux qui y vont de façon spontanée, laissant le récit s’épanouir de lui-même, à la façon, donc, d’un jardin luxuriant où tout pousse comme ça veut ; ceux qui planifient, organisent, structurent.

 

Pour ma part je trouve cette métaphore un peu neuneu. Mais si on veut rester dans une vision très large et très simplifiée, on peut considérer deux façons principales de conduire un récit : l’élaboration d’une intrigue ou bien l’exploration d’une situation. Sachant que dans tous les cas, le véritable moteur de la narration ne sera ni l’un ni l’autre, mais bel et bien les personnages.

 

La différence entre une situation et une intrigue est plus facile à saisir intuitivement qu’à expliquer, mais je vais quand même tenter de dégrossir un peu : une situation est un point de départ dont les ramifications et les conséquences vont entraîner, de façon logique et naturelle, toute la suite de l’histoire. Une intrigue consiste en un ensemble d’événements, certains prévus à l’avance (surgissement d’un personnage nouveau, rebondissement inattendu), dont l’organisation forme un ensemble cohérent et esthétiquement signifiant. Elle est structurée comme une montée dont le sommet constituera l’aboutissement : on appelle ça le climax. Une situation est plutôt construite comme un ensemble de chemins possibles, qui se croisent à la manière d’un labyrinthe ou d’un rhizome (voire d’un sacré bordel), et ne cherchent pas à aboutir quelque part mais plutôt à se dérouler jusqu’à épuisement de l’énergie initiale. Il me semble que la vie ressemble davantage à un ensemble de situations qu’à une intrigue – en tout cas, la mienne.

 

La vie ressemble davantage à un ensemble de situations qu’à une intrigue

 

L’érotisme, plus encore que tout autre forme de littérature, trouve sa force dans la simplicité. S’il y a bien un genre qui s’épanouit dans la situation plutôt que dans l’intrigue, c’est le cul. On se fiche d’avoir une narration alambiquée et des twists à gogo : tout ce qu’on veut, c’est savoir qui baise avec qui, pourquoi, comment, ce qui se passe dans leurs crânes, ce qui se passe dans leurs ventres, leurs bites, leurs chattes – et en quelle mesure toute cette bouillabaisse interagit.

 

Qu’est-ce qu’une bonne situation ? Très simple : c’est une situation fertile. Qu’est-ce qui la rend fertile ? L’éventail des conséquences possibles et la richesse intrinsèque du contexte de départ. Examinons quelques pitchs, parmi les titres qui composent la collection Les Nouveaux Interdits : dans une cité difficile au nord de Paris, un jeune freluquet et la petite amie du plus gros dealer du quartier tombent amoureux (Banlieues chaudes) ; en vacances dans une station balnéaire ordinaire, une jeune femme retrouve son amie d’enfance, convertie au BDSM, et hésite entre curiosité et répulsion (Vacances en soumission) ; au sein d’un couple qui s’enlise dans la routine, l’adultère commis par la femme réveille chez son mari des pulsions candaulistes (Dix hommes par semaine, à paraître le 14 avril).

 

L’érotisme trouve sa force dans la simplicité

 

À chaque fois, les situations s’imposent par l’ampleur des possibilités qu’elles recèlent, ampleur que permet la mise en relation de deux éléments qui, chacun de leur côté, sont banals, mais s’avèrent explosifs si on les unit. Un triangle amoureux : cliché. Une banlieue craignos : déjà vu cent fois. Les deux en même temps ? Boum ! Et ça marche pour mes trois exemples – et pour la plupart des titres qui composent la collection. Si vous rassemblez correctement votre tas de bois (votre contexte) et savez frotter l’un contre l’autre deux silex (votre point de départ), vous obtenez quoi ? Le feu !

 

Pour conclure cet article, un exercice simple : prenez vos romans érotiques préférés – et, pour ceux qui écrivent, prenez aussi vos manuscrits – et tentez de les résumer en une phrase ou deux, de la manière la plus plate et factuelle possible. Vous constaterez que même si votre pitch contient tout le livre, d’un autre côté, il n’en dit rien, en tout cas ne dit pas vraiment pourquoi vous l’avez aimé. Et c’est là-dessus que je voudrais conclure cet article : si une situation excitante (dans tous les sens du terme !) est indispensable pour réussir un bon roman de cul, cette situation ne vaut rien sans des personnages, sans une voix, sans une langue, sans un rythme. Ces éléments, et eux seuls, vont transformer un point de départ potentiellement kiffant en une histoire que l’auteur prendra plaisir à écrire, que le lecteur prendra plaisir à lire. Et le bon usage de tous ces matériaux, chères amies, chers amis, fera l’objet de prochains articles. Restez à l’écoute !