Dix hommes par semaine, de Fred B., vient de paraître. Sous ce pseudonyme et ce titre délibérément old-school, comme un clin d’œil aux "Confessions" des années quatre-vingt-dix, se cache l’un des titres les plus ambitieux des "Nouveaux Interdits". A travers son récit baignant dans l’érotisme le plus cru – certaines scènes ne sont vraiment pas piquées des vers –, Fred B. entend nous dire deux ou trois trucs à propos du couple, de l’amour, de la jalousie, des limites qu’on s’impose, de celles qu’impose la société, de nos efforts pour les faire voler en éclat, de la façon dont la quête individuelle du bonheur se heurte aux quatre murs de la réalité, comme une mouche coincée dans un appartement. C’est excitant ET poignant. Et même parfois on se marre. Que demander de plus ?
Un camarade à moi produit et présente un podcast intitulé C’est plus que de la SF, consacré aux littératures de l’imaginaire. Le titre est bien entendu une pique adressée aux critiques littéraires mainstream qui croient flatter un livre en disant qu’il est "plus que de la SF" ou "plus que du polar". J’aimerais citer Manchette, tiens, ça fait longtemps : "Rions en tout cas encore une fois des feuillistes qui affirment sempiternellement de tel ouvrage qu’il est davantage qu’un "roman policier". Le roman noir, grandes têtes molles, ne vous a pas attendus pour se faire une stature que la plupart des écoles romanesques de ce siècle ont échoué à atteindre."
En termes de stature, pour la littérature porno, on risque d’attendre encore un peu, mais si un jour, à la faveur d’une prise de conscience soudaine, la critique littéraire sérieuse se sortait les doigts du (quoi ?), nul doute qu’on lirait ce genre d’affirmation : "Dix hommes par semaine, c’est plus que du porno."
Alors qu’évidemment non. C’est, précisément, exactement, du porno, c’est-à-dire le contraire de ce que pensent ces gens culturellement corrects : le porno, c’est plus que de la littérature blanche.
Le sujet du livre est simple : un couple lambda, une situation de départ banale – madame trompe monsieur. Et à partie de là, on fait quoi ? L’auteur, lui, joue la carte du libertinage et du candaulisme pour nous raconter son histoire. Mais à aucun moment il ne verse dans le cliché. Ses personnages sont réels, attachants, parfois antipathiques. Leurs réactions, même quand elles nous apparaissent déroutantes, même quand ils vont trop loin à nos yeux, sont crédibles. Et on les accompagne jusqu’au bout de leur aventure sans lâcher le livre. Enfin, sauf pour… – et si vous êtes ce genre de lecteur.trice-là, vous ne serez pas déçu.e, foi d’érotomane !
Bonjour Fred B. Dix hommes par semaine est votre premier roman pornographique, mais il ne s'agit pas de votre premier texte. Pouvez-vous nous parler un peu de votre parcours ?
Bonjour ! Mon parcours est très simple : littéraire de A à X, si vous me permettez ce clin d’œil. Aussi loin que mon entourage et moi-même nous en rappelions, j’ai toujours eu un livre à la main. Un vrai doudou. J’ai dû affirmer vers l’âge de sept ans environ que je deviendrai écrivain. À partir de là, j’ai surinvesti le français et les langues étrangères à l’école au détriment des matières scientifiques, passé un baccalauréat littéraire, suivi des études de lettres à l’université et au moment de choisir un emploi alimentaire, je me suis naturellement tourné vers le milieu du livre. J’ai toujours écrit en parallèle, de manière plus ou moins sérieuse et sporadique, en cherchant mon style, le bon ton, le bon genre, bref l’auteur qui sommeillait au fond de moi. Il aura fallu trois éléments successifs pour que je me découvre et réussisse à être publié : d’abord rencontrer pendant mes études une éditrice qui m’a parlé en détail de son travail, ce qui m’a permis de mieux appréhender certains aspects littéraires, ensuite de travailler et ainsi opter pour le segment éditorial de la jeunesse, en voyant ce qu’il était possible d’y faire, et enfin la naissance de mon premier enfant, qui a été un gros coup de pied aux fesses pour que je réalise que le temps passe vite. À partir de là, je me suis mis à écrire sérieusement et il m’aura fallu cinq ans pour convaincre une maison d’édition. Depuis, par contre, je n’arrête plus et les différentes sollicitations éditoriales dont je jouis me prouve que je ne me suis pas trompé.
De quoi parle Dix hommes par semaine ?
Du monde moderne, du travail, des collègues, des smartphones, des réseaux, des applis, de la vie en centre-ville, de football, mais surtout d’une putain d’histoire d’amour, de ce dont un couple est capable quand les deux composants osent s’avouer leurs fantasmes, à communiquer dessus et à s’entendre, à s’aimer suffisamment pour accepter l’autre tel qu’il est et tout ce qui vient avec. De désir aussi, de jalousie, de limite, d’extrême, de l’impact des représentations pornographiques sur nos libidos, de ce que c’est que d’être un homme aujourd’hui, d’être une femme également, d’être un couple enfin, le tout sous l’angle le plus intime et le plus cru.
J'ai été frappé, quand j'ai découvert votre manuscrit, par votre volonté de sonner juste, aussi bien dans les situations que dans les dialogues. Le couple que vous nous présentez, c'est finalement monsieur et madame Tout-le-monde, confronté à une situation banale, mais qui surmonte cette crise en employant des moyens qui ne le sont pas. Ce désir de crédibilité et de réalisme était-il présent dès l'origine de votre projet ?
Merci pour le compliment ! Je ne sais pas si c’était un désir conscient sur ce texte en particulier ou si tous mes projets tendent vers cette crédibilité, ou si c’est tout simplement mon écriture qui est ainsi faite. Quoi qu’il en soit, il faut souligner que tous mes textes, pornos ou non, sont réalistes. Après des essais très infructueux dans les littératures de l’imaginaire, je me suis concentré sur le monde tel que je le connais. Et, bon sang de bois, il regorge suffisamment d’histoires incroyables pour que je puisse m’en inspirer pendant plusieurs vies. Je dirais donc que mon univers littéraire « sonne juste » parce qu’il est un miroir de ce que je vois/entends/vis/lis. Et dans Dix hommes par semaine il y a nombre de choses vues/entendues/vécues/lues...
Vous considérez-vous comme un écrivain porno ou un écrivain tout court ?
Un écrivain tout court. Comme vous l’avez précisé, ce n’est pas ma première publication, quoi que certainement la plus jouissive, au propre comme au figuré. J’écris, je ne peux pas faire autrement. Comme me le disait une certaine Justine récemment, dans un autre contexte que littéraire, chaque mot ou phrase entendu.e ou chaque chose vue peut devenir l’objet d’un dialogue, d’une scène ou d’une intrigue. Je fais un rapprochement systématique avec la narration. Ça démarre souvent immédiatement, puis il me faut un certain temps de gestation, parfois plusieurs années, mais je dois en faire une histoire pour m’en libérer. Pour Dix hommes par semaine, par exemple, le roman est né d’une phrase prononcée par quelqu’un. Je n’ai pas réagi immédiatement, mais cette phrase ressemblait à un caillou jeté dans de l’eau. Les ondes se sont répandues, ont percuté un élément de mon quotidien un peu plus tard, et bim, je tenais un roman.
D'où vous vient cet intérêt pour les romans de cul ?
De mon adolescence et comme bien souvent chez moi d’une addition de plusieurs facteurs. D’abord, j’ai toujours aimé les livres, comme expliqué plus haut. Ensuite je suis tombé sur de la pornographie très jeune, trop sans doute, et mon imaginaire en a bien sûr pris un sacré coup. Ajoutez à cela que ma sexualité étant à mon avis au-delà de la norme, elle a forcément occupé une part conséquente de mon esprit dès ma puberté. Le goût des livres combiné à celui des filles et du sexe, saupoudré d’images pornographiques, ça pouvait difficilement donné un autre type de gâteau.
Pouvez-vous nous parler de votre quotidien d'auteur ? Écrivez-vous tous les jours ? Avez-vous, par exemple, des rituels d'écriture ? Combien de temps mettez-vous à écrire un livre ?
J’essaye d’écrire tous les jours, oui. Autant que faire se peut, en tout cas. Je dois évidemment composer avec des journées de 24 heures, mon travail alimentaire, ma vie de famille, mes besoins en sommeil, mais quand je suis sur un manuscrit qui avance, je tiens à battre le fer tant qu’il est chaud. J’ai des rituels, oui, et j’en suis complètement dépendant. J’ai du mal à être efficace sans. Par exemple, il me faut le silence absolu. Je m’hypnotise presque avec ma propre respiration, je descends en moi-même. Il ne faut pas me déranger, ni son ni mouvement, sinon l’apnée se termine. Je n’écris donc pas sur de longues sessions, ou alors par à-coups. Ayant beaucoup déménagé, chaque nouveau lieu faisait l’objet d’expérimentations pour trouver les rituels adéquats dans cet espace. Depuis trois ans, j’écris désormais dans mon lit, avec une certaine lumière, de préférence le matin plutôt que le soir. Comme je souffre de plus en plus d’insomnies, j’écris très bien, en termes de production, s’entend, vers cinq heures du matin. Pour terminer, écrire un livre peut me demander trois ans, comme ce fut le cas pour un projet trèèèès compliqué et impubliable qui ironiquement m’a conduit vers Chloé Saffy, vers vous et donc la Musardine, ou une semaine, comme ce fut le cas pour Dix hommes…
Quels sont vos thèmes préférés en pornographie ? Pour Dix hommes par semaine, vous êtes-vous imposé des limites ?
Hors de question de vous révéler l’historique de mes navigations sur le net ! Ce roman révèle déjà bien assez de choses sur moi comme ça. Plus sérieusement, je ne suis imposé aucune limite. Au contraire, je me suis tout permis. Quand je vous ai contacté au printemps 2021, sans l’ombre d’une idée de roman mais avec la féroce envie de me défouler, vous m’avez dit « OK sur le principe, mais 1° attention je suis un éditeur chiant, 2° je publie du porno, pas de l’érotique ». À partir de là nous étions raccords, les vannes étaient ouvertes, tant sur la crudité des scènes que sur l’attention portée aux phrases. Ma seule limite était peut-être celle-ci : je ne voulais pas faire un mauvais gonzo écrit avec les pieds. Je visais un certain degré de qualité que j’estime avoir atteint et vous pouvez témoigner qu’on a corrigé ce manuscrit au peigne fin. Au diable la modestie.
Qu'est-ce qu'une scène de cul réussie selon vous ? Quels sont vos méthodes, vos ingrédients secrets, vos « petits trucs » ?
Une scène de cul doit exciter, point à la ligne. Suffit de lire quelques pages du génial Il est 14h, j’enlève ma culotte, de Zoé Vintimille pour s’apercevoir qu’on peut parfaire une scène sexuelle en quelques lignes sans passer par les sempiternels clichés du « oh-oui-hum-c’est-bon ». Bon, j’avoue en avoir tartiné mon livre, mais je suis un horrible mâle blanc hétéro cisgenre, j’ai déjà tous les défauts du monde, alors un de plus ou un de moins… De manière plus technique, difficile de parler de méthode, d’ingrédient ou de truc. Pour rejoindre l’interview de Joko sur le même sujet, je trouve que l’acte en soi et le vocabulaire en lien est moins excitant que la situation, le contexte, ce qui pousse les personnages à agir. Dans mon cas, je dirais donc que c’est lorsque je parviens à écrire une phrase qui me semble être totalement issue de mon personnage plus que de moi. Vous aviez vous-même réagi à une phrase prononcée par Rose et le narrateur en même temps dans la scène du parking : « on s’en fout ». Voilà, ces trois mots-là rendaient la scène réussie.
Dans un roman érotique, qu'est-ce qui est le plus difficile à écrire ? Les scènes de cul, ou bien les autres scènes ? Pourquoi ?
Là encore, je rejoins Joko pour dire que les scènes de sexe peuvent vite virer à la débâcle si on en fait le centre de l’attention. Dans Dix hommes…, j’ai vraiment essayé de travailler sur la progression, sur la surenchère, afin que la page d’après soit « toujours plus », ce qui est une sorte de credo dans ma vie en général. Tout le monde peut écrire du cul, les sites de fanfiction sont remplis de trucs glauques entre Malefoy et Harry Potter ou entre Dark Vador et la princesse Leïa, mais tout le monde ne peut pas donner naissance à des personnages crédibles (d’où la projection sur ceux que je viens de citer et leur réutilisation facile). Donc je dirais que le plus difficile est de faire naître des personnages viables, identifiables, quasi autonomes, mais c’est valable pour toute littérature. Plus spécifiquement au genre érotique, il me semble que le BDSM est un exercice de style très délicat. Cette sexualité véhicule tellement de fantasmes biaisés, aux clichés très ancrés, avec notamment l’homme qui doit forcément être en réussite sociale et en chemise-cravate, qu’une tentative d’écriture sur le sujet peut vite virer à la mauvaise romance ou au contraire au récit abscons réservé aux initiés.
Faites-vous lire vos manuscrit à des lecteurs (ou des lectrices) privilégiés, avant de l'envoyer à votre éditeur ?
Tout dépend du genre. Pour ce porno, ma femme – qui est aussi ma soumise – l’a lu chapitre par chapitre au fil de la rédaction, toute tremblante et désireuse de lire la suite le plus rapidement possible. Sinon, elle ne lit jamais un manuscrit en construction. Seuls mes différents éditeurs ont un droit de regard sur un projet en cours ou plus généralement dès le point final posé. Cependant, il arrive parfois que je fasse appel à certains camarades de plumes après retour de ces éditeurs, quand j’ai besoin d’un œil extérieur ou simplement par quête d’approbation. Ce fut le cas avec Chloé Saffy sur celui-ci.
Quels sont vos futurs projets ?
J’en ai plein, comme d’habitude. J’ai plusieurs manuscrits en cours : deux pornos et au moins quatre non-pornos. Comme je travaille aussi pour la presse, je multiplie les publics, les calibrages et tout cela engendre une gymnastique mentale pas toujours évidente pour alimenter les projets aux longs cours. J’ai notamment bien entamé un polar pour adulte qui va me demander beaucoup de documentation. Je suis entré dans cette phase critique, mais ça me saoule de lire dans ce but, donc je procrastine en écrivant d’autres trucs…
