C'est quoi la littérature ?

Christophe Siébert, auteur et éditeur, prend la parole sur le blog de La Musardine

Aujourd’hui, attention, je sais pas si c’est le bac qui m’inspire, mais ça va être un peu théorique, limite philo, accrochez-vous à votre écran, des turbulences sont à prévoir.

Qu’est-ce qui différencie la vie de la littérature ?

La vie n'a ni début, ni direction, ni fin, ni but, alors qu’un roman commence au moment où l'auteur le décide et se termine au moment où il le juge bon. Encore plus fort : il suit entre ces deux bornes une trajectoire décidée par qui-vous-savez et se fixe pour but d’exprimer quelque chose et de provoquer des émotions – dans le cas d’un roman érotique, de parler de la sexualité des humains, de leurs fantasmes, de leur façon de vivre avec ça. Quant aux émotions, faut-il que je vous fasse un dessin ?

Par quels moyens la littérature se différencie-t-elle de la vie ? 

L’existence se limite à une accumulation de faits, objectifs et intransformables : Jean-Marc baise Sylvie dans les toilettes du bureau ; Stéphane et Nabila, tous deux amoureux de Sylvie, préféreraient que non, mais c’est comme ça, life is life.

La fiction (j'emploie indifféremment "littérature", "roman", "fiction" pour désigner la même chose), par définition, n’est que du langage. Ce que vous écrivez n'arrive pas. Pardon pour l’évidence, mais c'est important. La littérature a maille à partir avec la vérité, pas avec le réel. Et ce que j'entends par là, c'est la vérité intime d'un personnage, d'un narrateur, de l'auteur. Autrement dit : ce qui nous intéresse n’est pas de savoir si ça s’est passé ainsi, y compris dans une confession donnée pour authentique (ce qui est un ressort très répandu de la littérature de cul et un cliché que j’adore1), ni même si ça aurait pu se passer ainsi, mais de lire quelque chose qui a un impact sur nous.

La littérature est une réorganisation esthétique du réel dont l’unique objectif est de nous immerger, le temps de la lecture, dans le crâne, le ventre, la libido des personnages. Nous devons sentir le monde à travers leurs nerfs, bander et mouiller avec eux (oui, une lectrice bande, un lecteur mouille : c’est le propre d’un bouquin porno réussi). Quand on tourne la dernière page, il doit nous en rester quelque chose, nos nerfs doivent être altérés à tout jamais. 

Ça vous paraît ambitieux ?

Peut-être. Mais la première fois que quelqu’un vous écrira pour vous expliquer que les conneries que vous avez publiées l’ont tellement touché qu’il ne voit plus le monde de la même façon, je vous garantis que même si vous êtes aussi sportif qu’un tabouret de bar, vous ne couperez pas à la série de galipettes. Ce genre de témoignage s’oublie aussi peu qu’un premier baiser ou une première nuit d’amour.

Et n’allez pas me dire "oui mais les bouquins porno ne changent pas des vies". Taratata. J’ai dans mon grand sac quelques lecteurs et lectrices de Chaudasse !, de J’ai peur ou du Mange-Femme qui pourraient affirmer le contraire. Et avec les Nouveaux Interdits, c’est précisément l’objectif que je me fixe, c’est ce que j’attends de mes auteurs et de mes autrices – et si j’en crois les retours, on n’est pas trop dans les choux.

1. Les clichés, c’est comme les chasseurs : il y a les bons et les mauvais – mais ça fera l’objet d’une prochaine causerie.