A quoi sert une phrase ? (Mince, ce début ressemble à une chanson de Julien Clerc, je ne sais pas si c’est très bon signe.)
Vous vous êtes déjà posé la question ? Quelle fonction remplit la phrase ? Je veux dire, à part communiquer des informations et des émotions. C’est déjà pas mal, vous allez me dire, mais c’est insuffisant. Ça reste à la surface des choses.
Chaque phrase sert à emmener à la suivante.
Vous trouvez ça con ?
Attendez un peu, ça n’est pas fini.
Vous savez où j’ai reçu une de mes plus grandes leçons d’écriture ? Dans Spirou et Fantasio. Franquin n’écrivait pas de romans de cul. OK. Mais si tous les auteurs porno mettaient dans leurs manuscrits la même efficacité et le même sens de la composition et du rythme que Franquin dans ses planches, je serais un éditeur comblé et vous seriez des lecteurs et des lectrices heureux.ses, croyez-moi !
Ce que Franquin m’a appris (d’ailleurs, connaissez-vous ses dessins érotiques ? Ils mettent en scène Gaston, Mademoiselle Jeanne et consorts. Une rareté !), c’est le mouvement de l’œil : chacune de ses cases est conçue pour faire "tomber" le regard dans la suivante. Chaque fin de strip contient un gag, un élément visuel inattendu ou l’amorce de quelque chose qui donne envie de passer au strip suivant. Et la dernière vignette, en bas à droite, propose un teasing assez fort pour donner envie de tourner la page.
Une leçon essentielle.
Comment savoir si une phrase appartient à cette catégorie ?
Une phrase mérite sa place dans un texte si elle remplit les conditions suivantes :
— Elle énonce quelque chose de neuf.
— Elle provoque ou développe une émotion.
— Elle captive assez le lecteur pour qu’il glisse jusqu’à son point final d’un mouvement souple de champion du monde de surf et saute à la suivante sans même s’en rendre compte – les phrases qui terminent paragraphes et chapitres doivent donc être particulièrement soignées.
Elle n’a pas sa place si :
— Elle est redondante.
— Elle nous raconte un truc qu’on avait deviné tout seul.
— Elle n’a pas assez d’énergie, de chaleur, de vie, de ce truc impalpable mais essentiel pour garder le lecteur à bord.
Ce qui nous emmène à une autre notion fondamentale : relire, c’est faire le procès de chaque phrase.
Il s’agit de condamner chaque phrase à mort (à l’exil, si vous êtes un cœur tendre et que vous vous identifiez plus facilement à un DRH sadique qu’à un dictateur sanguinaire) et la laisser se défendre, justifier sa présence. Si elle n’y arrive pas, ciao.
Pour le dire de façon moins lourdement métaphorique : une phrase qui n’est pas nécessaire à un texte n’y a pas sa place. Si on peut la supprimer (pour quelque raison que ce soit, le texte ne souffre pas de son absence), on doit le faire. Sans pitié ! Mieux ! Avec jubilation ! La touche SUPPR, amie fidèle des auteurs et des autrices !
Quel rapport avec le porno, vous demandez-vous ? Eh bien, beaucoup de scènes de sexe souffrent d’un même défaut, l’excès de verbiage. Esparbec parlait de chantilly. Moi j’appelle ça le mode d’emploi Ikea. Vous voyez où je veux en venir. Les descriptions interminables du machin qu’on fourre dans le truc pendant que le bidule fait tirelipinpon dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, et tout ça avec une débauche d’adjectifs supposés renforcer l’émotion.
Mes amis, la débauche, c’est pas comme ça que vous la provoquerez ! Si vous ne parvenez pas à surprendre, saisir, émouvoir le lecteur en lui racontant simplement, naturellement, sans en faire des caisses, que Pascal enfonce sa pine dans la chatte de Nadia et que c’est agréable, ça n’est pas en nous expliquant que la bite est raide comme un menhir, que Nadia mouille comme une cascade un matin d’été, ça n’est pas en tapissant votre histoire d’adjectifs et d’hyperboles que vous y parviendrez.
Comment créer l’émotion, alors, comment susciter l’intérêt ? Ça, mes camarades, ce sera pour la prochaine fois – un indice, d’ici là : soignez vos personnages ! Sans eux, vous êtes foutus.