Interview de Kriss Vilà (Canicule) par Christophe Siébert

Christophe Siébert interviewe l'auteur Kriss Vilà pour la sortie de son roman érotique Canicule.

Est-ce Kriss Vilà qui est venu me proposer un manuscrit, ou est-ce qui moi l’ait sollicité ? Je ne me souviens plus – la première solution me paraît quand même la plus vraisemblable : je ne m’imagine pas aller déranger Monsieur Vilà, cinquante ans de publications au compteur, pour lui proposer de m’écrire un livre.

Si Kriss Vilà racontait des histoires d’amour, des drames psychologiques ou des récits du quotidien bourgeois, il siègerait à l’Académie française, s’habillerait en costume ridicule (à propos, saviez-vous que les frais de conception du fameux "Habit vert", qui peuvent dépasser 30 000 euros, sont à la charge de l’académicien ? Ça aussi, ça en dit long sur la classe sociale d’une certaine littérature) et passerait à la télévision pour se faire cirer les pompes et s’exprimer sur tous les sujets à propos desquels on solliciterait sa docte opinion.

Hélas – hélas pour les vieux ringards qui prennent la poussière sous la coupole, hein, pas pour nous –, Kriss Vilà se fiche bien de ce genre de reconnaissance vulgaire. Ses titres de gloire à lui sont plutôt d’avoir été l’auteur du premier roman punk de l’histoire de la littérature française (en 1977) ou d’avoir publié dans la mythique collection "Gore" du Fleuve Noir. Et désormais d’accrocher un nouveau "mauvais genre" à son tableau de chasse : le porno.

Bref, un écrivain selon mon cœur, et si les encravatés de chez Gallimard ne l’aiment pas, qu’ils se rassurent. Comme dirait Maurice Pialat : nous ne vous aimons pas non plus.

Bonjour Kriss Vilà. Canicule est – à ma connaissance, mais votre bibliographie est impressionnante – votre premier roman pornographique. Mais il est loin d'être votre premier livre. Pouvez-vous nous parler un peu de votre parcours ?

J’ai d’abord écrit de la science-fiction sous forme de textes courts : des nouvelles… très courtes ! Après un premier essai – réussi, à ma grande surprise ! – j’ai continué à publier des textes courts vers le milieu des années 70, à une époque où il existait pas mal de revues prêtes à accueillir de nouveaux auteurs. J’ai dû mettre entre 3 et 5 ans pour me faire à l’idée que, si je voulais poursuivre, il fallait que je me mette à écrire, non plus des textes de 20 à 30 000 signes, mais un roman. Comme Sang futur a connu un petit succès, j’ai décidé de franchir le pas et d’abandonner toute activité salariée pour devenir un auteur "pro". Je savais où j’allais : des écrivains bien plus expérimentés m’avaient prévenu que j’aurais du mal à toucher le smic si je choisissais cette voie. Mais bon, j’étais déjà "accro" à l’écriture, comme le sont tous les auteurs, alors j’ai poursuivi, bon an mal an. Après publication de mes 3 premiers romans, j’ai eu quelques trucs refusés, mais ça ne m’a pas perturbé plus que ça. L’an prochain, cela fera 50 ans que je suis édité.

De quoi parle Canicule ?

C’est l’histoire d’un jeune Parisien esseulé et fauché qui, un vendredi de juillet et dans un bus, croise la route de deux affamées que la chaleur excite tout autant que lui et qui ne manquent pas de profiter de sa disponibilité pour s’offrir un plan à trois. Aussi pleines d’arrière-pensées que de goût pour le vice, ces deux-là ont un projet secret pour le partenaire qu’elles se sont choisi : l’offrir comme "cadeau d’anniversaire" pour les 20 ans d’une amie japonaise qui doit les rejoindre le samedi. Une jeune femme un peu spéciale…

Dans votre roman, plutôt que de partir sur une intrigue ou une situation, vous avez choisi d'explorer un thème : la chaleur, et les effets qu'elle produit sur la libido. Comment vous est venue cette idée ?

On va dire que c’est un tantinet autobiographique : avec les températures vraiment excessives auxquelles on a droit désormais, ça m’est un peu passé, mais les fortes chaleurs me faisaient cet effet quand elles restaient à peu près supportables. Je me suis donc dit que ça me faisait un bon sujet de départ pour mon roman.

Vos nombreux ouvrages vous ont conduit à explorer tous les "mauvais genres", de l'horreur à l'anticipation en passant (désormais) par le porno. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette appétence et sur cet apparent désintérêt pour la littérature dite "blanche" ?

Les "mauvais genres" de la littérature populaire, c’est ma culture. J’ai commencé par en être grand consommateur avant de me mettre à en écrire. Adolescent, j’étais un lecteur compulsif de science-fiction et ce genre littéraire a la particularité de grandement stimuler l’imagination du lecteur. J’ai lu aussi beaucoup d’autres choses dans les autres genres populaires, de l’aventure au roman noir ou au porno en passant par à peu près tout le reste. La "blanche"… j’en lisais quand je n’avais rien d’autre à me mettre sous la dent ! Parmi les auteurs de ce type d’écrits, j’appréciais surtout celles et ceux qui s’intéressaient plus à des problèmes sociaux ou à la sexualité qu’à leurs petits egos germanopratins, lol. Les seuls parmi ceux-là qui m’aient vraiment influencé sont ceux de la beat-generation : William Burroughs, surtout.

Pouvez-vous nous parler de votre quotidien d'auteur ? Écrivez-vous tous les jours ? Avez-vous, par exemple, des rituels d'écriture ? Combien de temps mettez-vous à écrire un livre ?

Oui, quand je m’y mets et tant que je me sens en forme, j’écris tous les jours, à raison d’une soixantaine d’heures par semaine, en relisant chaque jour ce que j’ai fait la veille. Ce genre de période peut durer entre une et deux semaines. Après, quand je suis à bout de souffle, j’oublie le boulot le temps qu’il faut et je m’y remets quand les idées reviennent. Côté rituels, je ne fais jamais de brouillons manuscrits ; je tape direct à l’ordi ; je ne travaille tard le soir et avec un cahier que quand j’ai une scène déjà rédigée en partie et que je souhaite développer sans attendre. J’ai écrit bon nombre de mes romans en trois semaines à un mois, deux mois maximum pour ceux qui nécessitaient un peu de documentation. Pour le seul vraiment volumineux que j’ai publié (Les Mystères de Saint-Pétersbourg, un roman de fantastique historique), entre la documentation sur le chamanisme sibérien, celle sur la période de la révolution d’Octobre et divers avatars indépendants de ma volonté (arrêt de la collection où ça devait paraître), j’ai pris la décision d’augmenter le volume de texte et de rechercher un nouvel éditeur) : première version comprise, le tout m’a pris environ deux ans. Par ailleurs, j’ai aussi dans mon ordi un roman terminé depuis 8 ans mais dont je ne suis pas content, et deux ou trois autres ébauchés : alors, le temps qu’il me faut pour écrire un livre, tout ça est très relatif !

Quels sont vos thèmes préférés en pornographie ? Pour Canicule, vous êtes-vous imposé des limites ?

J’ai souvent mis des "scènes de cul" dans mes romans et on me l’a parfois reproché. Je ne vais pas prétendre, comme disait San-Antonio, qu’écrire plus d’un quart d’heure sans glisser une histoire de sexe m’ennuie profondément, mais je considère que la sexualité fait partie de la vie d’un personnage de fiction, et créer des personnages "qui tiennent la route" (au moins à peu près !), c’est, avec la thématique abordée, ce qui m’intéresse en premier lieu dans mon boulot d’auteur. Après, pour Canicule ou d’éventuels autres romans porno, je ne m’interdis qu’une chose : les descriptions trop complaisantes d’une sexualité violente ou criminelle. Ou alors, il faut que ce soit le cœur du sujet.

Qu'est-ce qu'une scène de cul réussie selon vous ? Quels sont vos méthodes, vos ingrédients secrets, vos "petits trucs" ?

Je considère n’avoir pas encore assez d’expérience en matière de roman porno pour répondre précisément à la première question. Après, je me dis que si les scènes réussissent à m’exciter, elles peuvent réussir à le faire aussi pour les lecteurs et lectrices. Côté méthodes, ingrédients secrets et petits trucs, quel que soit le genre auquel je m’attaque, je m’efforce de créer ce qu’il faut de suspense et de faire monter la "tension dramatique" au fil des scènes.

Dans un roman érotique, qu'est-ce qui est le plus difficile à écrire ? Les scènes de cul, ou bien les autres scènes ? Pourquoi ?

Le plus difficile, à mon sens, c’est de passer des scènes érotiques, qui le plus souvent font office de "préliminaires", aux scènes porno proprement dites, mais sans tomber alors dans le bas de gamme. Il faut y aller en douceur – d’abord donner envie aux partenaires que sont les personnages, tout comme aux lecteurs et lectrices – comme dans la vraie vie, quoi !

Faites-vous lire vos manuscrits à des lecteurs (ou des lectrices) privilégiés, avant de les envoyer à votre éditeur ?

Non. Ma compagne ne lit mes textes que quand ils sont édités, et, à part pour mes tout premiers textes (exclusivement des nouvelles) je n’ai fait qu’une seule fois appel à ce qu’on appelle un "bêta-lecteur" (un ami, qui avait déjà lu bon nombre de mes autres romans). Je consacre souvent presque autant de temps, sinon plus, à me relire et à me corriger qu’à pondre un premier jet. Donc, une fois que je suis à peu près certain que mon texte est suffisamment peaufiné, je considère que c’est à l’éditeur de faire le travail de relecture et si nécessaire de me demander d’autres corrections.

Quels sont vos futurs projets ?

Pour l’heure, boucler un deuxième roman porno pour La Musardine, déjà écrit en version courte, mais dont on me demande d’augmenter fortement le calibrage pour le faire passer dans une autre collection. Bon, c’est le genre de proposition qui ne se refuse pas, mais c’est compliqué de développer à ce point une intrigue déjà conçue sans ajouter des scènes superflues ou des bavardages inutiles… Si vous connaissez le petit cochon qui m’a proposé ça, faites-moi signe ! Après, si tout va bien et que la pandémie ne recommence pas à tout retarder, j’aurai le scénario d’une mini-série à coécrire avec un ami metteur en scène. Avec ce qu’il faut de sexe, ça va de soi.