Alice, voyeuse perverse est une relecture BDSM et fétichiste du classique de Lewis Carroll. Sadisme et masochisme sont au rendez-vous à chaque chapitre de ce roman sulfureux, dont le texte est magnifié par les superbes illustrations d’Olaf Boccère, bien connu de nos services. Comment écrire un roman érotique radical ET excitant ? L’ambition littéraire et l’efficacité narrative sont-elles compatibles ? Pour le savoir, j’ai soumis Thomas Gît-le-Cœur à la question. Faites chauffer les tisonniers !
Bonjour Thomas Gît-le-Cœur. Alice, voyeuse perverse est votre premier roman publié sous ce nom. Pouvez-vous nous parler de votre parcours et ce qui vous a poussé à écrire un roman érotique, et plus particulièrement un roman fétichiste et BDSM ?
J’écris depuis un certain nombre d’années maintenant, alternant essais et romans. Je me suis toujours défini comme un écrivain d’horreur, mais j’ai constaté (et certains de mes lecteurs aussi) que les univers fétichistes et BDSM occupaient une certaine place dans mes précédents ouvrages. Cette thématique, d’abord semi-consciemment puis très consciemment, a pris une dimension de plus en plus large dans mes textes, où mes personnages sont souvent des êtres en marge, obsédés par une idée fixe, accros au sexe, assimilant certaines images à des drogues, etc. Écrire un roman érotique était donc la suite logique de ma fiction, même si j’ai mis longtemps à franchir le cap. Le déclic s’est fait par le biais du Prix de la Nouvelle Érotique, pour lequel j’avais écrit il y a deux ans une nouvelle assez ratée, mais qui contenait à mon avis deux pages intéressantes, dont j’ai proposé au directeur de la Musardine d’écrire une version "étendue" qui a fini par donner Alice.
« J’aime bien le concept de "nom de guerre" »
Thomas Gît-le-Coeur est un pseudonyme. Je sais que beaucoup d'auteurs, qu’ils désirent écrire un roman érotique ou s’illustrer dans d’autres genres, s'interrogent sur le fait de publier sous leur véritable patronyme ou de choisir un nom de guerre. Que pouvez-vous leur dire à ce sujet ?
La problématique de base réside dans l’identité sociale de l’auteur. Quand on exerce certaines professions, écrire de l’érotisme (et même écrire tout court) peut être un facteur à haut risque. Certaines personnes peuvent vouloir, par discrétion, dissimuler cette activité à leurs proches, ce qui n’est pas mon cas.
L’autre cas d’école est celui de l’écrivain confirmé qui souhaite scinder sa carrière en deux, dédoubler sa personnalité pour des raisons d’image publique ou par choix artistique. Écrire un roman érotique sous son véritable nom nécessite donc une certaine assise, un plan de carrière mûrement réfléchi et présumé imperméable à certains préjugés, ou, chez certains individus, un état d’esprit parfois kamikaze. À titre personnel, j’aime bien le concept que vous évoquez de "nom de guerre", car il sous-tend que celui qui le porte est investi d’une sorte de mission.
« Alice, voyeuse perverse raconte l’histoire d’une femme déçue par sa vie, qui se découvre elle-même en basculant dans un monde fétichiste et BDSM. »
Votre livre s’inscrit dans un registre clairement BDSM et fétichiste. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Alice, voyeuse perverse raconte l’histoire d’une femme déçue par sa vie, qui se découvre elle-même en basculant dans le monde du fétichisme et du BDSM.
Il s’agit d’une version sadomasochiste de l’Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, roman qui a été déjà adapté et détourné de toutes les façons possibles, mais qui demeure malgré tout un creuset alchimique sans égal dans l’histoire de la littérature.
« Des personnages qui sont d’authentiques salauds »
Dans votre roman, le lecteur perd vite pied entre ce qui est réel, ce qui ne l'est pas, dans un jeu de miroir constant entre rêve et éveil. Comment s'y prend-on, quand on est écrivain de cul, pour rendre excitante une scène érotique dont le lecteur se demande si elle a lieu réellement ou pas ?
Il faut simplement se souvenir qu’un acte sexuel est avant tout un acte mental. Un rêve érotique participe, au moment où on le vit, de la même réalité qu’une expérience "réelle". Dans l’hypothèse où on essaie de le retranscrire sur le papier, sa narration obéit au même processus, mais elle peut se révéler plus satisfaisante pour l’auteur parce qu’elle contourne les éléments de naturalisme qui peuvent faire obstacle au désir. On peut introduire des personnages qui sont d’authentiques salauds sans que la morale entre en jeu, revisiter des scènes primales ou psychanalytiques, couper les ponts avec ce qui nous relie quotidiennement au statu quo social. Le fantasme permet d’expérimenter des choses qui, si on entreprenait leur réalisation dans la vie de tous les jours, s’avéreraient parfois décevantes ou destructrices. Beaucoup de personnes admettent leur réticence à concrétiser réellement leurs désirs les plus "inavouables". C’est justement ce domaine que la littérature permet le mieux d’explorer.