Alice, voyeuse perverse est une relecture BDSM et fétichiste du classique de Lewis Carroll. Sadisme et masochisme sont au rendez-vous à chaque chapitre de ce roman sulfureux, dont le texte est magnifié par les superbes illustrations d’Olaf Boccère, bien connu de nos services. Comment écrire un roman érotique radical ET excitant ? L’ambition littéraire et l’efficacité narrative sont-elles compatibles ? Pour le savoir, j’ai soumis Thomas Gît-le-Cœur à la question. Faites chauffer les tisonniers !
Comment écrire un roman érotique à la fois complexe et lisible, à la fois sophistiqué et facile à lire ?
En fait, cela vient tout simplement des écrivains qui m’ont inspiré. Lewis Carroll, que j’ai constamment relu pendant ma rédaction, a posé les bases d’un univers complètement déstructuré, où les événements s’enchaînent sans aucune logique apparente. En fait, il faut s’immerger dans son monde pour en percevoir le fil narratif sous-jacent, hermétique mais bien plus riche que le schéma du parcours initiatique bateau. Mon conseil pour écrire un roman érotique tel qu’Alice, voyeuse perverse est de raisonner en documentariste, en reporter en immersion dans une dimension alternative ou – et c’est là que rêve et réalité se confondent, – les choses ne s’organisent pas toujours selon des liens de causalités. Le monde que vous décrivez est chaotique, mais pas le narrateur. L’Alice de Carroll est un personnage qui applique sa logique à un univers agressivement illogique, et qui s’en sort grâce à ça.
« L’élément clef, c’est la passion »
Qu’est-ce qui caractérise une bonne scène érotique ? Quels conseils donnez-vous à ceux qui voudraient à leur tour écrire un roman érotique ?
La règle d’or, le critère de base doit rester l’effet que produit une scène sur son auteur, avant même d’espérer toucher un lecteur ou une lectrice. Si cette scène plonge ses racines dans votre intimité (et je ne parle pas forcément de sexualité, mais de structure psychique, de la manière dont votre cerveau fonctionne), alors seulement elle peut produire un écho susceptible d’émouvoir ou choquer quelqu’un d’autre.
L’erreur est d’écrire un roman érotique en tentant de coller aux attentes supposées du lectorat, en d’autres termes de vouloir servir au public un fantasme à la carte. Ça ne marche jamais, tout comme il est absurde, dans un roman classique, de vouloir traiter d’un sujet qui nous indiffère ou qu’on maîtrise mal simplement parce que c’est commercial.
L’élément clef, c’est la passion et même le niveau d’innocence qu’on met à écrire un texte. Même s’il y a des erreurs, il reste à l’arrivée une intensité émotionnelle, un sentiment de "première fois" qu’on ne peut jamais reproduire de manière artificielle.
Une bonne scène érotique qui donne l’impression de raconter de façon inédite quelque chose qu’on a, a priori, déjà vu quelque part.
« Le style, c’est la pensée, rien d’autre. »
Quel genre d'écrivain êtes-vous ?
Je suis un écrivain du genre lent. La plupart de mes textes ont pour point de départ soit un titre, soit un décor. À partir de là, je décris les images que ce dispositif m’inspire, comme si j’essayais de peindre un tableau ou tourner un film avec des mots. Certaines phrases, voire des paragraphes entiers, restent stockés dans ma mémoire, attendant de servir, et le reste vient par nécessité, parce qu’un récit doit obligatoirement bouger, même s’il donne l’impression de faire du sur-place, embarquer le lecteur dans un voyage. Comme mes dialogues sont minimaux, je mise beaucoup sur les descriptions, même très longues, pour faire avancer l’action.
La règle que je me suis fixée est qu’un paragraphe doit développer une idée et une seule, parce que deux créent déjà une confusion. Et comme mes idées sont parfois obliques ou biscornues, il faut les rendre les plus simples possibles, les exprimer de manière élémentaire. La relecture est un travail essentiel, même et surtout s’il paraît parfois ingrat. C’est comme un tamis. Il faut évacuer le sable pour trouver la pierre, et on s’aperçoit parfois qu’une page contient BEAUCOUP de sable. Une fois qu’on a enlevé les mots en trop, et on n’en enlève jamais assez, il ne reste, en principe, que la substance de votre récit, et c’est tout ce dont on a besoin. Avec le temps, j’ai appris à me méfier des gens qui me parlent de "style" en littérature, qu’ils confondent souvent avec le verbiage. Votre style, c’est votre pensée, rien d’autre.