Écrire est un plaisir ! - L'édito érotique de Christophe Siébert

La clé de l'écriture érotique, c'est le plaisir, nous explique Christophe Siébert dans son édito bimensuel. Une ode à la liberté de créer.

C’est bien beau, de maîtriser à la perfection la narration, le rythme, les effets de réel et la caractérisation du personnage : mais si vous ne prenez pas plaisir à raconter, plaisir à écrire un roman érotique (ou un roman tout court, d’ailleurs, ou n’importe quel texte), comment voulez-vous que les lectrices, les lecteurs, prennent leur pied ?

Cette semaine, j’aimerais développer une notion peu abordée alors qu’elle est cruciale : l’idée selon laquelle on doit se faire plaisir en écrivant. C’est d’ailleurs le titre de cet article, et je vais le rabâcher jusqu’à plus soif : écrire est un plaisir. Répétez-le comme un mantra : ECRIRE EST UN PLAISIR, nom de nom.

Sinon, autant acheter une barque et du matériel de pèche. Déjà que le secteur est en crise et que tout le monde préfère scroller sur Netflix plutôt qu’ouvrir un bouquin, le coup de l’écrivain maudit, qui pleure des larmes de sang à chaque phrase qu’il achève, ça va.

La littérature est une jouissance !

Fabriquer de la fiction n’est pas un exercice scolaire ni un entretien d’embauche, certainement pas du speed-dating et encore moins une comparution devant un tribunal où le lecteur jouerait le rôle du procureur. On peut se lancer dans cette activité pour des tas de raisons – passer le temps, délivrer un message, pécho des filles ou des mecs, ce que vous voulez –, l’essentiel est de s’amuser. Écrire est un plaisir, avant tout, et je dirais même plus : la littérature est une jouissance !

Tout le monde est d’accord pour affirmer que les lectrices et les lecteurs ne doivent pas se forcer ou lutter contre l’ennui. Eh bien c’est pareil pour les autrices et les auteurs. Si prendre son pied tout seul est parfois génial, à deux c’est encore mieux.

Fuck Jiminy Cricket !

Un bon moyen de faire jouir les autres, c’est de jouir soi-même. Un bon moyen de les surprendre, c’est de se surprendre soi-même. Un récit et des personnages imprévisibles ! Une langue inventive ! Des voix originales ! Écrire n’a rien d’une corvée consistant à suivre des règles arbitraires, à recracher plus ou moins bien une leçon apprise laborieusement. 

Un roman ne dépend d’aucune recette ou mode d’emploi. Un roman de cul, un roman classique, atteignent leur but chaque fois que la lectrice, le lecteur, écarquille les yeux de surprise. Chaque fois que vous touchez là où on ne vous attend pas. Chaque fois qu’on en tombe de notre chaise. 

Et ce genre d’effet n’a une chance de se produire que si écrire est un plaisir – donc un acte de liberté. Lâchez-vous la bride. Ne vous interdisez ni d’aller trop loin, ni de faire preuve de mauvais goût, ni d’oser des trucs que vous n’avez lu nulle part.

La plupart des gens ont perché sur l’épaule un petit Jiminy Cricket. Il serine à longueur de temps que ça ne se fait pas, que ça n’est pas bien, qu’on a pas le droit – et tant mieux : je ne suis pas sûr de vouloir vivre dans un monde où chacun n’en fait qu’à sa tête sans jamais se soucier des conséquences.

Mais justement : n’en faire qu’à sa tête sans jamais se soucier des conséquences, aller là où on ne doit pas aller dans la vie réelle (parce que c’est trop dangereux, effrayant, déstabilisant, parce que ça ne se fait pas), voilà précisément ce qu’on attend d’un écrivain – et surtout d’un écrivain de cul, qui explore les zones les plus taboues de notre existence : les fantasmes, la libido, le désir, le plaisir.

Écrire pour soi, publier pour les autres

Cette liberté-là ne peut exister que si écrire est un plaisir. 

Une discipline, un artisanat, le fruit d’une nécessité intérieure, oui, tout ça est vrai. Mais, avant tout, écrire doit vous rendre joyeux, vous faire rire sous cape quand vous trouvez une idée étonnante, une phrase inattendue, une situation géniale, une fin tordue. Et vous faire marrer une seconde fois en imaginant les lectrices et lecteurs tomber là-dessus sans l’avoir vu venir.

Voilà la meilleure façon d’écrire des histoires qui plaisent aux autres : en écrire qui plaisent d’abord à soi-même. Satisfaire son public, c’est d’abord l’oublier. Chercher à deviner ses attentes, c’est le meilleur moyen de se contraindre, de ne plus s’amuser, de transformer ce petit théâtre mental, où tout peut arriver, en une sorte de pensum, en une leçon à réciter correctement. 

On écrit pour soi. Écrire est un plaisir solitaire qui devient un plaisir partagé, collectif, quand le texte est publié. Et nom de Dieu que c’est bon. Vous devriez essayer.