L’efficacité d’une scène érotique repose exclusivement sur l’empathie que ressent pour le personnage qui vit cette scène le lecteur ou la lectrice. S’il ou elle entre dans sa peau, dans sa tête, alors votre scène érotique l’enverra au septième ciel.
L’existence de ce lien est subordonnée à trois notions essentielles :
1 – Point de vue
Par le truchement de qui vivons-nous la scène ? Dans un roman écrit à la première personne cette question est sans objet, puisque toute l’histoire est perçue à travers un seul regard, mais si votre récit est écrit à la troisième personne, alors il va vous falloir choisir, dans la séquence de fellation entre Samia et Frank, si le point de vue adopté est celui de la suceuse ou du sucé. Pas plus dans une scène érotique que dans une scène classique, on ne saute d’un regard, d’une tête ou d’un corps à l’autre. Changer de point de vue, c’est changer de chapitre.
Déterminer qui voit et agit est donc une décision de toute première importance.
2 – Contexte
Ce qui permet l’identification à un personnage, qu’il soit gentil ou méchant, du même genre ou non que le lecteur ou la lectrice, proche ou éloigné de ses fantasmes et pratiques sexuelles – peu importent leurs différences et leurs points communs –, c’est le soin apporté à le représenter.
Si vos personnages paraissent complexes, crédibles et vivants aux yeux du lecteur ou de la lectrice, si les liens qui les unissent ou les opposent sont intéressants, ambigus, riches, changeants, alors votre scène érotique sera réussie. L’une des clefs d’une scène érotique réussie, pour le dire autrement, ce sont les efforts que vous aurez consacrés à l’écriture des autres moments de votre livre.
Vivent les émotions, à bas la chantilly !
3 – Émotions et sensations
Esparbec utilisait le terme "chantilly" pour désigner ces scènes érotiques interminables, ultra-détaillées, qui ressemblent à un catalogue de positions sexuelles ou à un mode d’emploi Ikea. On s’en fiche que votre héros enfonce son chose dans le bidule de sa partenaire à une profondeur de cinq centimètres tandis que de sa main gauche il pince un téton, de la droite se gratte l’oreille, tout ça en tirant la langue, en levant les yeux au ciel et en disant (d’une voix évidemment haletante) : "Oh, oui, ça n’a jamais été aussi bon".
Les longues descriptions statiques, depuis que Balzac est mort, qu’elles concernent une scène érotique ou un grand salon richement meublé, ne servent… qu’à provoquer l’ennui. Il faut du rythme ! Que ça avance ! Dites-en juste assez pour qu’on comprenne ce qui se passe. Le reste, nous le construirons dans notre imagination. Vous devez laisser de la place au lecteur. Si votre but est que chacun et chacune voient exactement, dans les moindres détails, ce que vous avez en tête, alors je suis au regret de vous informer que vous devriez arrêter la littérature et tenter le cinéma ou la bande dessinée.
Sinon, concentrez-vous sur ce qui compte vraiment : les émotions et les sensations physiques éprouvées par le personnage que vous avez choisi comme point de vue, et les émotions et sensations qu’il perçoit, devine ou espère chez les autres protagonistes.
Une scène de cul, pour quoi faire ?
Une dernière chose :
Une scène érotique excitante, mais qui ne fait pas évoluer l’histoire que vous racontez, est aussi inutile que la cinquième poursuite d’un film d’action ou le quatrième assassinat d’un slasher, ajoutés là seulement pour gagner quelques minutes. Si votre scène érotique ne nous apprend rien de neuf sur les protagonistes ou leurs interactions, si elle ne fait pas avancer le récit d’une façon ou d’une autre (autrement dit : si la situation est la même avant et après), elle ne sert à rien. Il faut la supprimer sans pitié. Ou la réécrire de sorte qu’elle apporte quelque chose à l’histoire.
Faire bander et mouiller votre public se mérite !