© Photo d'illustration Fred Marquet
La première fois que je suis entré dans la librairie de La Musardine, au 122 rue du Chemin-Vert, non loin du cimetière du Père-Lachaise, à Paname, je n’en menais pas large. Faut dire qu’en plus d’être un visiteur novice je ne venais pas en simple client : j’avais rendez-vous avec le grand patron lui-même, Claude Bard, pour discuter de la publication de mon premier livre. C’était en 2007, je ne connaissais rien au monde de l’édition, pas grand-chose à celui du cul. Je me demandais dans quoi j’allais tomber. L’antre de la débauche, le GQ du vice, la citadelle des obsédés ?
Après avoir tournicoté dans les rayons, timidement, laissant glisser mon regard sur des couvertures suggestives, plutôt osées ou franchement obscènes, j’ai fini par me présenter au libraire, habitué à ce que les clients peu familiers du lieu l’abordent comme je venais de le faire, par cercles concentriques, tel le timoré faucon visant l’arrogant campagnol.
"Je suis passé de l’autre côté du miroir, aussi excité qu’anxieux"
Après qu’il a passé un coup de fil, on est venu me chercher. Qui était-ce ? Directement Claude ou bien Anne Hautecoeur, qui ne s’appelait pas encore ainsi et officiait alors comme assistante d’édition – elle est maintenant Calife à la place du Calife (avec la bénédiction de ce dernier), ainsi que ma boss et celle qui m’enfermera dans la célèbre Cave-Aux-Auteurs-Récalcitrants si ce post ne lui plaît pas : likez, likez tant que vous pouvez, mes amis !
Franchissant la porte à double battant de style « saloon », je suis passé de l’autre côté du miroir, aussi excité qu’anxieux.
Bon, j’en suis ressorti joyeux, et vivant quoiqu’un peu ébranlé (calmez-vous, personne n’a attenté à ma pudeur) : point trop de stupre, presqu’aucun coup de fouet, je n’ai même pas été obligé de signer le contrat avec mon foutre (j’étais pourtant prêt à tout pour être édité) mais avec un banal stylo – tout de même, les couvertures qui tapissaient les murs d’un des bureaux et la quasi-intégralité des Interdits et des Confessions dans celui de Claude Bard, immense et cossu comme il convient à un éditeur, m’ont vivement impressionné.
"J'ai volé, trop coincé pour oser l’acheter, mon premier porno"
Les revoir m’a rappelé de vieux souvenirs : quand j'avais treize ou quatorze ans, on trouvait encore des bouquins de cul dans les maisons de la presse, perdus entre deux éditions de poche de Stephen King et un bouquin de régime. C'est donc là que j'ai volé, trop coincé pour oser l’acheter, mon premier porno : l’histoire d’une jeune fille envoyée en colonie de vacances, devenant le souffre-douleur de toute une bande de délurées. Une scène continue de me hanter : l'héroïne, après une séance particulièrement salée, à genoux devant la porte séparant sa chambre d'une autre, observe par le trou de la serrure une de ses persécutrices se branler avec un crayon et jouir si fort que le crayon bouge tout seul dans sa chatte, tel une bite autonome, sans corps mais pleine de vie – la voyeuse se branle aussi et bien sûr, jouit également.
Au fil des semaines, j’en ai piqués et achetés pas mal d’autres.
Un matin, pris de panique à l'idée que mes parents découvrent ma collection, je les ai abandonnés au coin d'une rue. Le soir, constatant qu’ils avaient disparu (adoptés par un autre pervers ?), j’eus un drôle de pincement au cœur : mon premier chagrin d’amour.
Depuis, dès que je tiens entre les mains un Média 1000, l'odeur des pages agit sur moi comme la fameuse madeleine de Proust.