Il existe toutes sortes de romans érotiques. Certains développent une atmosphère trouble, d’autres préfèrent explorer la psyché des personnages et leur ambiguïtés, d’autres encore se fixent simplement pour but (mais ça n’est pas si simple, en réalité !) de mettre lecteurs et lectrices de bonne humeur. Quelques-uns, enfin, profitent de l’argument pornographique pour formuler en douce, presque en contrebande, des observations sur la société qui nous entoure. Patronne perverse est de ceux-là.
Bonjour Alain Barriol. De quoi parle Patronne perverse ?
L’histoire de Patronne perverse, c’est celle d’une bonneterie de province au bord de la faillite. Dans cette petite ville rurale, perdre leur emploi serait synonyme pour les ouvrières de chômage et de précarité. Cette menace qui pèse sur elles donne d’autant plus de pouvoir aux patrons.
"Nous sommes dans un roman érotique, pas chez Gallimard !"
Ici, ils sont trois, représentant chacun une façade du capitalisme. Celui, héréditaire et désuet de "La Duchesse". Celui, prédateur et cynique, de Fortan, le repreneur parisien. Et celui, un peu utopique sans doute, du directeur financier aux origines modestes et provinciales, travailleur et plus humain. Bien sûr, comme nous sommes dans un roman érotique et pas chez Gallimard, cette intrigue a priori dramatique et tendue se développera surtout à travers des scènes de cul débridées et de plus en plus délirantes et tordues !
Il y a dans Patronne perverse des influences chabroliennes et simenoniennes. Est-ce volontaire ?
C’est extrêmement flatteur pour moi que vous ayez trouvé dans mon modeste roman érotique ces influences-là. Ce sont deux auteurs que j’admire. Les atmosphères des films de Chabrol sont chargées – me semble-t-il – d’érotisme et de perversité. Comment ne pas ressentir de la frustration quand la caméra suit la très belle Stéphane Audran jusqu’à la porte de sa chambre et… fondu au noir ! C’est l’avantage d’un roman érotique affiché comme tel : ici, pas besoin de couper. Les sous-entendus, le désir latent peuvent s’épanouir.
"Comme une crotte de chien sur la moquette"
J’ai trouvé que votre livre, à travers une histoire de cul rythmée, drôle et distrayante, contient une critique violente du capitalisme, des rapports de classe, des rapports de pouvoir. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
Mon premier job a été homme-sandwich. L’expérience, de courte durée, s’est achevée quand trop de bonnes âmes se sont plaintes à mon patron que je lisais en déambulant. Je donnais une image déplorable de l’entreprise ! Il m’a donc engagé comme manœuvre dans la miroiterie qu’il possédait. Je n’oublierai jamais les regards que me jetaient son épouse et ses filles – blondes toutes les trois – et qui me faisaient me sentir comme une crotte de chien sur la moquette.
Alors, oui, les rapports de classe et de pouvoir sont pour moi comme "l’éléphant dans le couloir", impossibles à ne pas voir ni ressentir. C’est donc naturel, sans doute, qu’ils nourrissent mes histoires.
"Rien de plus fatigant que l'aérobic infernal dans les films X"
Selon vous, qu’est-ce qui caractérise une bonne scène érotique ? Quels conseils pourriez-vous donner à nos lecteurs qui voudraient se lancer dans le grand bain ?
Il me semble qu’une scène érotique est bonne si l’on croit aux personnages. Je ne trouve rien de plus fatigant que ces films X où des inconnus se livrent à une espèce d’aérobic infernal. C’est d’ailleurs le point fort d’un roman érotique par rapport à un film. Si les personnages existent, avec leur aspect physique et leurs traits de caractères, qu’ils ne sont pas interchangeables, alors ils peuvent devenir excitants.
Parlez-nous de l’aspect technique de votre travail, laissez nos lecteurs jeter un œil dans votre atelier !
Comme beaucoup, j’ai des carnets. Je prends beaucoup de notes. Sur la situation d’abord, car c’est de ce postulat de départ (ici, il s’agit de l’atelier qui va fermer et des couturières angoissées) que découlera tout le reste. Puis, cela posé, je cherche les particularités de chacun des personnages, en m’inspirant naturellement de la vraie vie, des personnes croisées, rencontrées. Une fois tous les protagonistes en place, je rédige au brouillon, chapitre par chapitre mais pas forcément dans l’ordre définitif. Ensuite seulement je m’installe au clavier.
Merci, Alain Barriol !