Un écrivain, c’est d’abord un lecteur

Christophe Siébert, auteur et éditeur, prend la parole sur le blog de La Musardine

 

Pas mal d’entre vous se demandent (et me demandent, sur Twitter, Facebook ou par mail) comment franchir le pas, comment devenir écrivain.

Eh bien, en cette rentrée de janvier, je vais inaugurer une série d’articles consacrée à cette activité étrange. Vous découvrirez au fil des mois des conseils techniques et d’autres qui soulèvent – comme aujourd’hui – des notions de fond. Vous trouverez des réponses aux questions que vous vous posez depuis toujours et aussi à celles, indispensables pourtant, qui ne vous étaient pas venues à l’esprit.

J’en profite pour signaler à ceux qui veulent me voir aborder des points spécifiques, qu’ils peuvent m’écrire : nouveauxinterdits@gmail.com.

 

"Un écrivain qui lit est un écrivain qui fait son travail"

 

Souvent, je croise des apprentis auteurs qui n’aiment pas lire et se demandent carrément à quoi ça sert, la lecture. Moi, ce genre d’interrogation, ça me fait penser à un cuistot qui se demanderait à quoi ça sert de bouffer. Outre que c’est quand même curieux de passer ses loisirs à écrire des livres si, soi-même, on n’a pas de plaisir particulier à en ouvrir un, lire, LIRE, C’EST LA BASE.

Je ne peux pas le dire mieux.

Un écrivain qui lit est un écrivain qui fait son travail. Un écrivain qui lit est un écrivain qui progresse, comprend de quoi se tisse la littérature, comment fonctionne ce processus télépathique incroyable : quelqu’un que vous ne connaissez pas, qui vit parfois sur un autre continent, a écrit il y a des années (ou même des siècles), des phrases aussi simples que : "Alexandre tremblait de peur" ou "La voiture était rouge" et vous tremblez de peur avec Alexandre, vous voyez cette foutue voiture aussi distinctement que si elle était garée dans la rue.

 

"Le cerveau est une belle machine, le travail se fera en sourdine, à l’arrière-plan"

 

Ou bien vous ne tremblez pas, ne voyez pas : car ça ne marche pas à tous les coups. Et c’est bien pour ça qu’il ne faut pas lire uniquement des chefs d’œuvres, mais de tout ! Des livres incontournables, des croûtes, des trucs de pure distraction, de la littérature expérimentale, des classiques, des modernes, des nouveautés, des livres réussis, des livres ratés, des livres excitants ou ennuyeux. Les bons romans vous enseigneront l’art d’écrire, les mauvais vous indiqueront ce qu’il ne faut pas faire et c’est tout aussi important. Et tous vous montreront ce qui a déjà été rédigé mille fois, vous encourageront à trouver votre propre voie, votre propre manière de raconter ce que vous avez à raconter.

Ça n’est pas la peine de prendre des notes – sauf si c’est votre truc. Il suffit de lire, simplement, pour le plaisir : le cerveau est une belle machine, le travail se fera en sourdine, à l’arrière-plan. Plus vous lirez, plus vous écrirez avec aisance, capacité et instinct.

Certains m’ont rétorqué, ravi de leur argument, que désormais, à notre époque, il existe de tas de manières de raconter des histoires, le livre n’en est qu’une parmi cinquante autres, on peut très bien devenir écrivain en ne s’intéressant qu’aux jeux vidéo et aux séries télé.

C’est en partie vrai – tout ce qui relève de la fiction narrative est bon à prendre et vous auriez tort de le rejeter. Cela dit, je me méfierais d’un créateur de jeu vidéo affirmant qu’il ne joue jamais et tire son inspiration et son savoir-faire en relisant Proust et Balzac.

Alors, lisez, mes bons amis, lisez. Et partagez votre opinion, à propos de tous ces livres. Donnez votre avis sur des blogs, sur les réseaux sociaux, sur les sites marchands et bien sûr à vos amis. Il y a un plaisir encore plus grand que lire un livre : c’est s’engueuler à son propos à la terrasse d’un bistrot, ou donner envie de l’ouvrir à la personne qui partage votre lit.

Vous, je sais pas, mais moi, quand je pénètre pour la première fois chez quelqu’un avec qui j’ai un rendez-vous galant, je cherche la bibliothèque. Si je ne la trouve pas, je sais déjà que la baise ne sera pas terrible.