Interview de Laure Mordray, autrice du roman érotique Rêves de Q

Beaucoup de romans érotiques fonctionnent sur le principe de l’initiation ou de la quête d’identité et il est difficile pour une autrice ou un auteur de tirer son épingle du jeu. Qu’est-ce qui fait la différence, alors ? Le contexte, les personnages, la langue. Pour chacun de ces aspects, Rêve de Q se révèle très au-dessus de la mêlée. Roman érotique queer, sensible, drôle, politique et très excitant, il est aussi le premier livre publié de son autrice.

Bonjour Laure Mordray. Rêves de Q est votre premier roman érotique racontez-vous cette aventure.

J’ai toujours eu besoin de raconter des histoires. Avant de savoir écrire, je griffonnais des combats de vaisseaux spatiaux. Ensuite, j’ai utilisé des figurines articulées pour inventer des aventures à mes Chevaliers du Zodiaque ou mes G.I. Joe. Un jour, mon père a jeté mes jouets parce qu’il estimait que je devais devenir "adulte". À son grand désespoir, j’ai suivi des études de lettres tout en reprenant mes gribouillis avec la ferme intention d’embarquer un maximum de lecteurs dans mes délires. J’y ai travaillé au gré de mes boulots alimentaires, de mes galères et de mes deuils. Au début des années 2000, des revues ont publié certaines de mes nouvelles. En 2008, une troupe d’amateurs a joué une de mes pièces de théâtre dans mon fief, le Nord, et au Maroc. Après quoi, je me suis attaquée au roman. J’ai affiné mon univers et mon style au fil des années jusqu’à rencontrer Christophe Siébert, qui m’a proposé d’écrire un roman érotique.

"À quoi bon vivre une sexualité ordinaire si on ne l'est pas soi-même ?"

De quoi parle Rêves de Q

De sexe queer. Je tenais à montrer qu’avec des corps et des désirs qui échappent aux normes, on peut s’amuser et jouir. Il suffit de trouver les bonnes personnes et se laisser porter. À quoi bon s’obliger à vivre une sexualité ordinaire si on ne l’est pas soi-même ? 

Votre roman érotique parle beaucoup de transidentité et de quête de soi. C’était voulu ?

J’ai mis du temps avant d’accepter ma transidentité et mes désirs parce que je manquais de références positives. J’ai aussi constaté que la sexualité des personnes trans fascine nombre de personnes cis… qui viennent y plaquer leurs propres fantasmes et leurs clichés. Il m’a donc semblé naturel de vouloir faire entrer mon lecteur dans la tête d’une femme trans inventée par une autre femme trans. Histoire de montrer quelques facettes de nos innombrables réalités.

"Un roman érotique doit nous bousculer"

Selon vous, qu'est-ce qui caractérise une bonne scène érotique ? 

Le contexte. Les baises qui marquent se déroulent dans des contextes, des lieux, des situations insolites, improbables, inhabituels, cocasses, risqués… Même et surtout si elles sont foireuses. Au boulot, devant une caméra, à côté de son compagnon ou de sa compagne, dans un lieu public voire sacré, en général, on y repense avec un petit sourire pervers au coin des lèvres. Il faut qu’il y ait ce petit parfum de danger, cette giclée d’adrénaline, cette sensation de folie et d’audace. Un roman érotique doit nous bousculer, nous déranger, nous faire battre le cœur.

Enfin, je pense que le lecteur sent quand il y a du vécu derrière les mots. Même s’il s’agit d’une recomposition, d’une extrapolation ou d’une exagération de la réalité.

"Je donne une énorme importance à l'atmosphère"

Quel genre d'écrivain êtes-vous ? 

Je commence par noircir des feuilles A4 avec mes idées, en vrac. Dès que j’ai épuisé mes réflexions, je me lance dans une histoire qui n’a plus grand-chose à voir avec le brouillon initial. Au bout d’un moment, je me rends compte que c’est de la merde, mais que certains éléments méritent d’être sauvés. Alors, j’extrais ces éléments et je repars du début. Quand je me dis "OK, ce bouquin mérite d’exister", c’est que j’approche de la phase où je dois travailler le style, réfléchir à la place de chaque virgule, à la pertinence de chaque paragraphe. 

Je donne une énorme importance à l’atmosphère. Je m’attache aussi énormément à mes personnages. J’ai besoin qu’ils aient une histoire, des cicatrices, des aspérités. Qu’ils soient vivants. Et pour ça, j’observe, en permanence, j’écoute, j’analyse les gens que je fréquente, que je vois. 

D’ailleurs, petite astuce, si vous cherchez de l’inspiration : asseyez-vous de temps à autre dans les tribunaux. Assistez à quelques audiences pénales, vous y verrez défiler une galerie d’humains plus ou moins ordinaires dans toute leur complexité. Et bien souvent on y entend des histoires qu’on ne peut pas écrire, parce que personne n’y croirait.