Oui, oui, encore, vas-y, encore, vas-y, oui, ou : apprendre à finir

Claire von Corda est l'invitée du blog pour nous parler d'un sujet épineux : comment bien finir une scène érotique ?

Claire Von Corda est autrice pour la collection "Les Nouveaux Interdits", où elle a publié Insatiable et Obsessions. Elle a voulu vous donner, à son tour, quelques conseils pour apprendre à écrire d’excellents romans érotiques.

Tu vois, ce moment après l’orgasme, quand tu soupires, n’en revenant pas d’autant d’extase ? Ou quand tu zieutes, échevelé, le réveil et réfléchis à comment partir sans vexer ? Eh bien, il a une fin et c’est tragique. Parfois on voudrait rester, mais la réalité nous rattrape : l’odeur des chiottes publiques après ce merveilleux cunni, ou l’envie de fuir la baraque de rêve du pote désespéré après avoir laborieusement joui. Tu le comprends, passer à la scène suivante est tout un art. Alors ? Heureuse ?

Noie-moi dans ton sperme et inonde mon ventre, mon joli

On profite et on laisse sécher, l’après coït en version gros chats câlins. De la tendresse bordel !

Ambiance, je m’en fous de l’heure qu’il est, j’ai oublié mes complexes. Tu kiffes point barre.

Pour ta scène, c’est pareil. Après avoir construit l’échafaudage de l’excitation, la cathédrale des bites dressées, maintenant c’est la décroissance. Tes personnages sont nus, tranquilles, repus, aucune envie de partir – attention, j’ai pas dit qu’ils tombaient amoureux, hein, tout de suite – ils prennent le temps quoi, la Tendresse, bordel !

Tout comme la montée de la chaleur dans ta culotte est une écriture de l’escalade, le retour à son repos en est l’inverse. 

Utilise les descriptions. Tu peux choisir de faire un zoom. Partir de l’extérieur vers l’intérieur. Exemple, du constat des vêtements sur le sol, des bouteilles vides et du cendrier plein vers la peau moite, les cheveux en bataille et le maquillage foutu. 

Évoque les odeurs, le calme, le silence, le cocon émotionnel ; appelle les sens. 

Étire le temps, convoque la lenteur, passe au je-m’en-foutisme ; casse le rythme.

Balance la sauce Johnny, j'ouvre grand la bouche

On avale et on passe à autre chose, la jouissance flash éclair, le jet de mitraillette, l’art de la fuite.

Ambiance, baise rapide, c’était bien, on se rappelle ?

Pour ta scène, c’est pareil. On ne s’éternise pas, on s’essuie et on retourne bosser. Restons amis et à ce soir.

Après avoir narré les ébats torrides et sauvages, fait monter la sauce en mode machine à laver, arrive alors l’explosion finale, le cri génial. Tes personnages ont grimpé vers un plaisir de dingue, ils ont quitté la médiocrité terrestre en deux secondes et se demandent même s’ils n’ont pas trouvé l’âme sœur en sexe – n’importe quoi – et là, pour les laisser dans leur extase, on passe à autre chose. 

Tout comme créer une scène torride est un travail de rythme, la terminer sur l’extase de l’orgasme, tel l’ascension d’un sommet à 2 300 mètres d’altitude est une question d’oreille, de feeling si tu préfères. 

Capte le point culminant, la pointe juste avant la chute et stoppe.

Utilise les phrases brèves, les verbes francs, le point final, saut à la ligne.

Et, paragraphe suivant, transition rapide vers un autre espace, un autre temps, un point de vue différent. 

En foutre partout, l'open bar du bukkake

On reçoit, on étale, on y trempe les doigts et on goute, on laisse lécher, on se roule des pelles, on partage avec la copine d’à côté, on finit le voisin, on mordille et on bave, on se frotte et on flirte. Bref, quand y en a plus, y en a encore.

Ambiance la partouze de mes rêves ne prendra jamais fin.

Pour ta scène, c’est pareil. Après t’être plongée dans des positions psychédéliques et folles, des échanges baroques et charnels, une fin lambda serait écœurante, voire grotesque. Se dresse alors l’unique solution, la plus excitante et géniale, celle de l’apothéose sexuelle. La fin sans fin, mille queues et têtes.

Tout comme s’abandonner à la débauche, le lâcher prise vers ses désirs enfouis relève d’une étape, une découverte, un deuil, une cérémonie.

Sois grandiloquent et utilise des métaphores, sois baroque en évoquant des matériaux dorés, des drapés soyeux, en faisant allusion aux peintures classiques. Ecris comme si tu étais sous prod au musée d’Orsay. 

Abandonne la linéarité, alterne des phrases courtes et longues, ça créera un rythme sans maîtrise.

Propose des associations non attendues, de goût et de sucs, de corps et de plantes. Par exemple, je dis n’importe quoi, des seins d’automne ou de la sueur caféinée. Bon, c’est un peu nul mais c’est pour l’idée.

Fuis le conventionnel et les images rabâchées. Plonge dans le chaos et le vertige.